Interview de Thomté Ryam réalisée par Aminata Aidara
Thomté Ryam et moi nous nous rencontrons dans un bar du quartier de Parmentier où à chaque seconde le serveur nous invite à consommer quelque chose! Alala, on change de bar et on se retrouve dans un coin où il y a la musique à fond. On change encore et finalement on peut parler calmement de sujet tout sauf calmes et posés! Bonne lecture!
LE POUVOIR POLITIQUE
Aminata
Dans En attendant que le bus explose, le Maire, comme d’autres personnes qui ont un rôle dans la vie politique du pays, ne prendra pas le bus et échappera donc au massacre.
Est-ce une allégorie qui signifie que les acteurs des sphères du pouvoir échappent à la confrontation avec le malaise social et qu’ils parlent souvent sans connaître le sujet dont ils sont sensé(e)s être les portes parole ?
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J’ai l’impression que beaucoup de politiciens ne connaissent pas le sujet dont ils parlent. Je ne veux pas mettre tout le monde dans le même sac mais il y en a beaucoup. Il y a une grande distance entre le peuple et le pouvoir. Il s’agit de gens qui se reproduisent entre eux. Ils font la politique comme on fait une carrière. C’est volontaire de ma part : je voulais montrer que le personnage principal de mon livre, Bonheur, au final fait plus de mal aux gens qui sont proches de lui qu’aux gens qu’il devrait attaquer.
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Aminata
Dans le même roman, à la page 40 on retrouve un discours très amer concernant le monde politique : « L’honnêteté de leurs slogans est faible et surtout, ils ne veulent rien dire. Ils ont tous les mêmes têtes de chien galeux, les candidats de la démocratie blanche et bourgeoise, commencée dans leurs grandes écoles là où ils ont appris à s’amuser avec les mots, à comprendre les mécanismes du monde, comment il fonctionne, veulent changer les choses ? Ça se trouve, ils y ont pensé un soir quand ils étaient plus jeunes. » En plus, quand Bonheur décide de se lancer en politique pour représenter son arrondissement il le fait avec le nom « le cinquième clown ». Sans parler du fait que, dans Banlieue Noire, les jeunes personnages perçoivent leur délits ainsi, page 96 : « Nous sommes aussi vicieux que ceux qui nous dirigent, sauf que nous, nous sommes dans la rue, et que tout le monde nous voit… ».
Avez-vous cette vision négative juste pour ce qui concerne la politique française ou vous pensez que dans n’importe quel pays il se reproduit le même processus une fois que l’être humain acquiert le pouvoir ?
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Bien sûr, pour moi c’est le même processus ! Il s’agit de la reproduction sociale à grande échelle, mais c’est toujours les mêmes. Il y a peu de domaines où l’on peut partir de très bas et arriver à un certain niveau. Par exemple… pour avoir de l’argent, le football et le sport en général sont des domaines où le mérite est important, même s’il y a bien sûr de la politique. Mais il y a vraiment très peu de domaines où l’on peut accéder à l’élite. Les pauvres restent entre pauvres et les riches restent entre riches. Les exemples de gens qui arrivent à s’extraire de leur milieu sont très rares.
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Aminata
Mais imaginons qu’une personne provenant d’une catégorie défavorisée arrive à rentrer dans les mécanismes du pouvoir : est-ce que vous pensez que cette personne va reproduire les mêmes mécanismes critiqués auparavant ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Après… c’est individuel, c’est la conscience morale ! Moi je n’ai pas envie de dire que toutes les personnes qui arrivent à un certain niveau vont se comporter comme les gens qu’ils ont montré du doigt… Moi ce qui m’énerve c’est que dans beaucoup de revendications ils utilisent une cause pour accroître leur chemin personnel. Par exemple, les gens qui parlent du « Black Power » si ça se trouve, ils sont arrivés à un moment difficile de leur vie et ils se servent de ce concept pour s’en sortir…
En tout cas moi personnellement je ne vais pas te dire que la plupart des gens arrivés à un certain niveau, quand ils ont atteint leur but, changent d’attitude : c’est aussi une question de détermination, il faut voir qu’est-ce que ces gens – quand ils ont décidé d’arriver à un certain niveau – avaient dans la tête, quelles étaient leur aspirations, qu’est-ce qu’ils voulaient faire. Il s’agit de toute façon de parcours personnels. Par exemple, dans la littérature, il y a eu des gens, des « blacks » comme moi, qui avaient un double discours. Le discours pour parler à leurs « frères noirs » et le discours pour parler à des blancs. Tu sais, c’est la nature humaine… je ne vais pas te faire des dessins. Les gens vraiment déterminés qui continuent le combat… par rapport à mon expérience personnelle je pense qu’ils sont une minorité.
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Aminata
Entre la page 58 et la page 59, dans Banlieue Noire, vous décrivez des bars où « les anciens détruisent leur RMI et leur foie, parlent football, refont le monde, se font des films à cinquante ans ». Le protagoniste enchaîne en disant : « J’ai envie de demander à ces vieux poivrots ce qu’ils comptent faire quand ils seront grands. Zader, le communiste lit l’Humanité, et après cinq verres, il débitera son message sur le partage et la solidarité. Quand je vois les risques que les jeunes prennent pour l’argent, je pense pas qu’après ils veuillent le partager ».
Pensez vous donc que les propos des gens de gauche sont décalés par rapport aux aspirations quotidiennes des jeunes d’aujourd’hui?
Réponse de Thomté Ryam |
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Après je te dis… je parle des gens dont j’ai envie de parler. Moi je sais qu’on est une société très matérialiste, et que beaucoup de jeunes pour exister ont besoin d’acheter. Ils pensent que c’est grâce à ça qu’ils sortiront de leur merde. Tu sais les jeunes « des quartiers » ne sont pas différents des jeunes « des beaux quartiers » ou des jeunes de la classe moyenne ! C’est tout simplement une société où pour exister et sortir du lot il faut acheter, il faut consommer. Maintenant moi, je le répète, je te parle des jeunes dont j’ai envie de parler… Après… la politique c’est des idées bien définies. Il faut penser comme ça parce tu es de gauche, il faut penser comme-ci parce que tu es de droite… Sur les jeunes, je te dirai qu’ils ont une conscience de gauche, mais des actes capitalistes. Je suis vraiment surpris de l’importance de consommer et d’acheter pour exister. Je pense que pour beaucoup de gens le but premier c’est de montrer ce qu’ils possèdent ; montrer que « nous aussi on peut avoir ». Même si demain ils ne mangent pas et ils vivent à six au foyer, s’ils peuvent montrer la belle voiture, ils la montreront. Mais après je n’ai pas envie non plus de résumer tout à ça. Tu sais, la banlieue, la cité, c’est un pays. Il y a des gens qui viennent de partout. C’est un manque de respect, c’est réducteur de dire que tous les gens sont comme ça.
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VIVRE DANS LE SYSTÈME
Aminata
Dans En attendant que le bus explose vous introduisez des personnages qui sont le miroir du vide existentiel : Maxou, ancien VRP, et Anastacia, ancienne coiffeuse scanpst.exe download for free. Ils sont en train de se préparer à la finale de l’émission « À la recherche du nouveau couple » et « ils passent leurs journées chez l’esthéticienne, en sale de remise en forme, au cours de salsa et jouent au Trivial Pursuit pour accroître leurs connaissances (…) On en demande beaucoup aux candidats : être stupide et avoir le feu aux fesses bien sûr, mais aussi être glamour et sexy, se connaître parfaitement, faire preuve d’une bonne culture générale ». Ce couple vit chez la famille de Maxou, la même où vitune petite fille, Elsa, dont quasiment personne ne s’occupe et Bonheur, un autre des personnages principaux de l’histoire. Tout le monde épargne de l’argent et vit à l’intérieur du système en attendant de percer à travers les moyens et les routes déjà tracés. Je pense qu’on vous retrouve dans la phrase : « Ils reprennent en chœur une chanson populaire, destinée à la fameuse « France d’en bas », celle qui doit travailler plus pour gagner plus au lieu de faire la grève pour demander une augmentation des salaires » (page 23). Le système, dans vos écrits, est quelque chose d’opprimant et délétère. Je me demande si Bonheur est le personnage qui vous permet d’épancher vos pensées politiques. À page 75 on lit : « État et médias n’attendent pas que vous soyez dans le noir pour vous faire peur, même les jours ensoleillés, ils vous mettent sous pression, pour que vous les remerciiez de vous avoir prévenu, le jour de votre agression. »
A votre avis le coup de pression constant du système quel but est-il en train de poursuivre ?
Réponse de Thomté Ryam |
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L’État ? Si en face de toi t’as des gens qui ont peur, tu va t’amuser avec eux. Tout simplement. Je fais toujours un parallèle entre ce que j’ai vécu et ce que je vois. Moi j’ai vécu des situations et j’ai toujours été surpris par le décalage entre les choses qu’on relate et les choses vécues au moment précis. Tu sais, les politiques produisent quelques magazines et quelques chaînes qui diffusent la peur, qui contrôlent la situation. Moi peut-être que j’ai du mal à faire confiance aux gens, mais je trouve que beaucoup de personnes sont naïves par rapport à ce qu’on leur raconte. Il y a une grande manipulation. Voilà.
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Aminata
Un jour, El Magnifico prononce un discours très intéressant: « Messieurs, mesdames. A Dreux j’ai vendu des kilos de shit avec des mecs qui, pour un sac à main, traînaient des vieilles sur 500 mètres, c’est vrai (…) mais c’est pas moi qui vends les feuilles à rouler, les bouteilles à 40 degrés, les bolides qui peuvent aller à 260 kilomètres à l’heure, les kalachnikovs pour tuer des peuples entiers ; c’est pas moi. C’est l’État qui s’occupe de ça (…) Vive la révolution ! Lorsqu’on n’a rien à se reprocher, il ne peut rien nous arriver ! »
Donc à votre avis la violence individuelle est une réponse à la violence collective et systémique ? C’est toujours ainsi ou juste dans certains cas ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Moi je trouve que c’est un bon mélange : la violence et l’intellect. Par rapport aux expériences que j’ai vécues, s’il n’y avait pas eu des gens violents jamais on ne serait rentrés dans le tas. Il faut taper fort, sinon on ne t’écoute pas. C’est le système, c’est que des rapports de force. Moi je pars du principe qu’il faut se défendre. Faire des grèves, manifester pacifiquement ce n’est pas assez. Il faut des fois « rentrer dans le tas intelligemment », c’est-à-dire, quand il y a des inégalités flagrantes il ne faut pas se gêner pour utiliser la violence aussi… je te donne un exemple par rapport à mon vécu : si la mairie ne voulait pas débloquer des sous… on est partis dans le centre social et au final avec notre façon de poser les choses nous avons obtenu les financements. Je pense qu’en face de toi t’as des mecs auxquels si tu ne fais pas comprendre que tu n’as pas peur… c’est perdu, ils ne t’écoutent pas.
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LE RACISME
Aminata
Pourquoi dans Banlieue Noire avez-vous choisi comme protagoniste un jeune Noir d’origine béninoise adopté par une famille de Blancs français ? Qu’est-ce qui vous fascine dans cette situation ?
Réponse de Thomté Ryam |
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J’ai choisi un Noir parce qu’en fait je voulais faire le mélange entre les peuples, entre les gens. J’ai donc choisi un Noir adopté par un Blanc en opposition à Christophe, l’autre protagoniste de l’histoire, qui est métisse et rejette son coté blanc. J’ai voulu montrer qu’au final t’as des situations avec des gens qui se retrouvent sans parents et qui réussissent à rester dignes grâce à l’aide de n’importe quelle famille… Après, je ne pense pas d’avoir été fasciné par cette situation, je pense plutôt que le métissage est beau, je suis pour les histoires où tu peux trouver des Jaunes, des Noirs, des Blancs, des Verts, et les voir cohabiter, partager une histoire. C’est la moindre des choses. Les gens qui font des choses communautaristes, blanc – blanc, noir – noir… c’est des gens qui ne sont pas sortis de chez eux.
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À la page 10 d’En attendant que le bus explose on voit une similitude entre les Français d’origine française et les jeunes issus de l’immigration : la peur et la compétition vis-à-vis des nouveaux arrivés. La famille du petit Karim est méfiante vis-à-vis des Chinois, mais elle est à son tour stigmatisée par la population française qui l’entoure.
La xénophobie est donc de toutes les populations. Pensez-vous qu’il s’agit d’une attitude liée au fait de s’assurer l’accès aux biens économiques (marché du travail, logement etc.) ou plutôt à une défense identitaire tout court ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Le racisme c’est une histoire sans fin. Ce n’est pas seulement blanc-noir. C’est noir-rebeu, rebeu-pakistanais, pakistanais-noir, c’est vraiment sans fin… C’est un truc de l’être humain. J’ai pas mal voyagé dans ma vie et il y a cette attitude partout… après, chacun va dire qu’il a des bonnes raisons de détester l’autre. Il faut juste dire, à mon avis, qu’il y a des inégalités flagrantes dans ce pays. Il ne faut pas le nier : si t’es noir, t’as pas accès aux mêmes choses qu’un blanc de pure souche française… On connaît le système. Donc voilà, c’est à toi de faire les choses. C’est aux petits de faire les choses. Après ils pourront se plaindre, mais après ! Fais les choses, bats-toi et après tu pourras pleurer et dire que tu n’es pas arrivé où tu voulais arriver. Même moi, si demain je suis chef ou patron, si les gens qui arrivent n’ont pas les compétences et le niveau pour faire quelque chose, je ne peux rien pour eux… Tu sais, pour des gens comme nous c’est deux fois plus de travail. À partir de là tu connais les règles. Arrivé à un certain âge il faut passer à l’action !
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Aminata
À page 89 de Banlieue Noire on lit : « Les Noirs, ils se rapprochent seulement lorsqu’ils sont entourés de Blancs ». Il s’agit d’un petit clin d’œil à la non solidarité africaine ?
Aminata
En s’adressant à un petit Noir dans le bus, El Magnifico lui dit « J’espère pour toi qu’il y a plus noir que toi. Même pour aller à la boulangerie en bas de chez toi, n’oublie pas ta carte d’identité. J’espère que t’as des diplômes. Sinon ça va être très difficile. »
Selon vous avec les diplômes cette stigmatisation concernant l’aspect reste ou s’atténue?
Réponse de Thomté Ryam |
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On est dans un pays où il y a de tout. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut avoir les compétences, se battre, c’est la seule chose, ce n’est pas facile mais il faut se battre. On se regarde dans une glace et on sait ce qu’il y a à faire. Ça ne sert à rien de crier. On est dans une société où si tu n’as pas les capacités on ne te donne rien. Moi j’ai écrit un livre, je me suis battu. Après si t’as juste envie de crier sache que tu vas crier dans le désert…
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Aminata
À la page 29 de Banlieue Noire on te voit traiter la thématique concernant le rapport entre noirs et blancs : « Dans notre coin, et selon l’avis général, le blanc est la couleur de la domination. Ce sont eux, en majorité, qui réussissent et nous, les plus foncés, qui échouons. Ce sont eux qui pillent nos richesses en Afrique et nous qui subissons. Ce sont eux qui vivent dans des beaux quartiers et nous dans des endroits sordides. C’est eux et nous ; nos coutumes héritées des pays de nos parents, et les leurs. De l’Afrique jusqu’en Amérique du sud, c’est le même schéma : le monde leur appartient. En 1998 encore, on entend ‘c’est le premier Noir à faire ça’ ».
Vous avez décrit la situation de façon aussi nette pour expliquer d’où vient la rage de ces jeunes ou vous partagez complètement cette vision en « noir et blanc » du monde ?
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Les deux. D’un coté il y a une domination flagrante. Il n’y a pas de problèmes à le dire, de ce coté-là. Après c’est un système qui est mis en place depuis très longtemps. Mais moi, pour ce qui me concerne, je suis très positif. Je sais ce que je suis capable de faire. Par contre quand tu es petit et ils te font croire des choses… par exemple qu’une fille avec des yeux verts est forcément belle, mais en vrai elle est moche et elle ne ressemble à rien… après il faut grandir en réfléchissant tout seul et c’est là que tu t’élèves. C’est mon cas. De toute façon je n’invente rien. Après, qu’est-ce qui fait qu’on en est arrivé là, à cette situation ? Je ne sais pas, je n’étais pas là ; je suis là juste depuis 33 ans ! Mais je sais qu’on peut carrément changer le monde. Comment ? Tu es là, tu luttes, c’est tout.
En tout cas bien sûr qu’il y a des différences, tu n’es pas considéré de la même façon quand t’es re-noi ou quand t’es blanc. Mais il ne faut pas juste crier parce que si après on regarde ton CV et il y a rien… ils vont prendre celui de la personne à côté qui est rempli car il a bien bossé… il y a des dominations et alors il faut lutter contre les inégalités !
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Aminata
Dans Banlieue Noire on voit donc que l’État est lié au « pouvoir blanc ». À la page 30 ce concept est à nouveau rendu explicite : « Nous crachons aux visages de ceux qui portent l’uniforme, quel qu’il soit, et encore plus lorsqu’il est porté par des personnes d’origine étrangère. Pour nous ce sont des traîtres, des complices de l’État. L’État est infiniment répressif et la répression, on sait tous quelle frange de la population elle touche. On sait qui sont les hommes que les flics tuent, et qui on enferme plus facilement que d’autres. On est né dans ce pays, on a grandi dans ce pays, mais avec toutes ces inégalités, on ne se sentira jamais occidentaux. Nous n’avons pas le même sang et ça se voit rien qu’à nos têtes. » D’un discours d’ordre plutôt politique d’injustice, on passe à une réflexion qui parle du sang.
Vous ne pensez pas que c’est dangereux de donner autant d’importance à la thématique « physique » dans une dénonciation sociale ? Ou à votre avis le problème réside précisément dans ce que cette apparence symbolise aux yeux des dominants ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Pour moi c’est qu’une histoire d’apparence. Ça veut dire que demain tu es polonais, tu arrives en France, ça fait deux semaines que tu es là… Ça passera mieux que le mec qui est né ici, qui a grandi ici, qui connaît ce pays-là… mais il est fils d’immigrés africains. Parce que le Polonais est Caucasien et que dans l’histoire c’est un « cousin » du peuple français…il passera mieux, ça c’est un fait. Je te parle de l’apparence physique. Il faut juste être fier. Mais en même temps sortir cet extrait de l’histoire racontée dans mon roman, sans expliquer ce qu’il y avait avant, ne montre pas tout. Il faudrait lire tout ce qu’il y avait avant pour comprendre où je voulais en venir.
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Aminata
Entre la page 28 et la page 30 du même roman, à travers la description de l’attitude de Christophe, vous tracez des considérations sur la place des métisses en France : « Il a un gros défaut, Christophe, et qui est de taille, c’est qu’il veut sans cesse montrer qu’il a du sang africain, que c’est un ‘vrai’ Noir comme nous autres, qu’il fait partie d’un peuple opprimé à qui on refuse l’intégration dans ce pays (…) des garçons comme Christophe qui ont du sang blanc… Vivent mal d’être le cul entre deux chaises. Ils ont deux combats à mener : d’abord contre le pays qui les a oubliés, et ensuite pour être reconnus par les gens avec qui ils vivent. Ça les éparpille peut-être, ça les épuise ». L’attitude de Christophe révèle l’effet miroir d’une société où le métissage est vain car la personne se retrouve toujours à devoir choisir sa communauté de référence. Personnellement, en tant que métisse, je pense que « notre rôle » face au sectarisme est celui de devenir un pont entre les deux sphères, de nous faire témoins de la sensibilité qu’il faudrait avoir pour dénoncer toutes les injustices liées à l’aspect physique tip toi files.
Vous ne pensez pas que Christophe devrait briser le portrait duquel on le fait porteur ? À votre avis les jeunes métisses ne devraient pas défier ce classement ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Je suis d’accord avec toi, mais dans l’histoire il a juste seize ans. Pour moi à seize ans, avec le recul, c’est un peu comme si tu viens à peine de naître. Donc cette partie a pour but de montrer l’importance de l’environnement sur la construction de la personnalité. Ce qu’on fait, malheureusement à cet âge-là, c’est qu’on découvre. Nos actes peuvent avoir des conséquences très graves. Et après j’ai envie de te dire que ça reste une histoire. Je n’ai pas envie d’en faire un symbole ou une généralité. Christophe est ainsi parce que j’avais besoin d’un personnage comme ça dans mon histoire. J’ai voulu montrer comment dans l’extérieur, dans le monde dans lequel on vit, être noir peut être considéré comme « une limite » – tu sais les noirs ne sont pas le peuple le plus aimé du monde – tandis que dans le cas du personnage de Christophe on voit un jeune attiré par ces gens, par ce côté-là dans une société où c’est tout le contraire. Voilà. C’est un petit de seize piges qui ne connaît que les schémas de son environnement de banlieue et qui serait surpris de voir comment les choses fonctionnent ailleurs, en centre-ville par exemple.
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LE MONDE LITTÉRAIRE
Aminata
À la page 118 de En attendant que le bus explose on rencontre El Magnifico en train de se plaindre parce qu’il a des difficultés à faire éditer son livre : « Il y a bien eu une touche avec un éditeur mais finalement ça ne s’est pas fait. L’éditeur s’était rendu compte un peu trop tard qu’il avait déjà fait signer un Arabe le mois dernier. Et deux livres ‘exotiques’ dans la même année ça faisait beaucoup trop. »
Pensez-vous que les livres des personnes issues de l’immigration seront toujours considérés « exotiques » ou en tout cas comme une catégorie à part ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Je te parle de mon expérience : dans les maisons d’édition, le problème c’est que t’as affaire à des bons bourgeois qui ne connaissent rien, qui ne comprennent rien, mais pas seulement de la banlieue ! Moi je parle du monde dans lequel ils vivent ! C’est des gens qui sont perchés. Imagine, si il arrive que t’es blanc, de classe moyenne, tu viens avec ton livre et ils ont du mal à comprendre, alors, quand tu viens de la banlieue c’est carrément… je ne sais pas, je ne pensais pas que c’était étrange, pour eux, à ce point-là ! Comme ils étaient sensés choisir des livres… c’est quand même terrible… même dans le monde des journalistes c’est terrible que des gens qui sont sensés parler de nos vies, informer la population… au final ils ne connaissent pas grande chose. Ils ne connaissent pratiquement rien du pays dans lequel ils vivent.
Et certains éditeurs font paraître des livres avec des histoires de merde, des histoires dont tout le monde se fout ! Des fois c’est des arnaques, du paquetage, du commerce… tu fais de la merde mais tu le vends bien, les gens l’achèteront parce que ce sont des pigeons, si on leur dit que c’est bien, ils vont penser que c’est bien. C’est pour t’expliquer leur décalage… ces éditeurs connaissent peut être mieux la Syrie que la banlieue…
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Aminata
Le vieux voisin d’El Magnifico se laisse aller à son mépris pour la littérature française actuelle. À la page 132, on lit: « la littérature française a pris du plomb dans l’aile. À force de médiatiser des fils de pute qui n’ont rien à dire. Y en a que pour eux. Cent pages pour aller du salon aux toilettes. Des romans intimistes, paraît-il, que personne ne comprend. Et ces romans ont tous les prix. Tu comprends ? Si un banlieusard ou un bouseux de province achetait ce genre de livres ils auraient l’air bien con, les jurés parisiens. »
Vous voulez dire que ce genre d’écrits est élitiste et a donc le but d’éloigner du monde littéraire une partie de la population française, à l’occurrence celle plus pauvre ou/et issue d’ailleurs ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Non, je ne pense pas qu’ils veulent éloigner une partie de la population, non… Je dis juste qu’ils ont du mal à comprendre nos histoires. Ce n’est pas qu’ils veulent s’éloigner, je ne pense pas qu’il s’agit d’un choix personnel ! Après c’est clair : qui fait partie d’un certain milieu se reconnaît plus facilement dans les histoires de son milieu. Ce n’est pas le problème de pouvoir sortir des livres ou pas, tous les jours il y a plein de gens qui sortent des livres ! Le problème c’est plutôt du côté des copinages existants, du coté médiatique, avec ses magazines, ses maisons d’éditions, ses gens qui ne sont pas vraiment intéressés à ton histoire et qu’ils regardent de façon commerciale…
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LE FOOT
Aminata
Beaucoup de personnages de vos romans rêvent de s’en sortir, dans la vie, grâce au foot. C’est le cas de Sébastien, Christophe et d’autres personnages de Banlieue Noire. Et c’est aussi le cas, dans En attendant que le bus explose, du cousin de Malik El Magnifico, Germain, qui a été stagiaire au PSG. À la page 22 de Banlieue Noire le moment où les personnages jouent au foot est ainsi défini : « pour la plupart d’entre nous, c’est l’endroit où on donne le maximum, où l’on oublie tout. ».
Quelles autres activités, à votre avis, pourraient donner aux jeunes la même sensation de liberté et de découverte de soi, au-delà de l’environnement qui les entoure ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Il y a plein d’activités, après il faut juste s’ouvrir au monde. C’est une démarche personnelle. Il ne faut pas se dire qu’on ne peut pas accéder à certaines choses parce qu’on vient des « quartiers »…
Des fois c’est vrai que c’est difficile parce que la misère entraîne beaucoup d’autres choses. Il faut trouver un truc et s’y accrocher. Moi je sais que j’étais un gamin ouvert, je me suis tourné vers les gens, j’ai fait des rencontres, c’est toi qui est maître, entre guillemets, de ton destin ! Il y a des gens qui t’aidnte, qui te montrent la voie mais c’est à toi d’agir.
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ECRIRE
Aminata
À la page 54 de En attendant que le bus explose vous décrivez les galères d’un écrivain inconnu qui a été déjà refusé par 25 éditeurs : « Trois ans à se torturer l’esprit, noter des mots sur son cahier, changer les phrases dix, vingt fois le retransmettre sur un clavier. Les donner à des amis qui mettent six mois à les lire, parce qu’ils s’en foutent un peu. Attendre des appréciations positives de leur part, sans les soupçonner de pitié ».
Il s’agit d’une expérience que vous avez vécue personnellement ?
Aminata
Dans le même livre on retrouve, à la page 78, un discours à propos de la confiance dont l’artiste a besoin : « La confiance, meilleure amie de l’artiste. Elle vous empêche de vous poser mille questions, dont les trois quarts sont inutiles et sabotent votre art ».
À quel moment avez-vous eu cette confiance en vos créations ?
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Sincèrement je ne me suis jamais posé des questions. À 18 ans déjà je disais que j’allais écrire un livre, mais… je n’avais pas le temps, tout en le répétant toujours à mes potes. Après, dans une période où je n’avais pas grand chose à faire je me suis lancé. Au départ je me suis dit que grâce à mon délire et l’histoire que j’allais raconter – une histoire bien posée et intéressante – j’allais gagner un peu d’argent, « je ne vais pas travailler, je vais voyager…et ça va être tranquille ! » Mais malheureusement ça ne s’est pas passé comme ça. J’ai voyagé, c’est vrai, et j’ai vécu beaucoup d’expériences intéressantes : voir les réactions que ça a entraîné, mon roman a été, par exemple, très intéressant. Au niveau financier, par contre, je me suis rendu compte que ce n’est pas ça qui fait de toi un millionnaire ! (rire)
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L’IMPORTANCE DU QUARTIER
Aminata
Dans Banlieue Noire l’importance du quartier Louis Armand, défini « Louis Alarmant » par les autorités est central dans le déroulement de l’histoire. On lit : « Ici, ça pue la faim. Un foutoir où cohabitent 15.000 personnes. Des portées de Noirs et d’Arabes en majorité, mais aussi des Chinois, des Turcs, des Pakistanais, des Français perturbés, des gens du voyage qui ne veulent plus voyager et j’en passe (…) Les grands ensembles font qu’on réfléchit ensemble. Chez nous, je suis tellement conditionné que je flippe de sortir un livre devant les autres. Ici c’est un autre monde, une autre façon de penser, et si je vois mal Chirac régler les problèmes sur Jupiter ou en Irak, je ne vois pas du tout comment il pourrait les régler chez nous ». Donc qui cherche à se cultiver est très rapidement charrié par les autres camarades ou voisins. Il y a une sorte de complexe vis-à-vis des autres, vis-à-vis de ceux qui lisent et écrivent peut-être des livres. Je trouve ce passage l’un des plus tristes.
À votre avis il y a cette fermeture vis-à-vis du monde des livres parce que ce monde est aperçu comme une sphère réservée aux français de souche – vus comme les vrais maîtres de la langue (française ?) – ou plutôt une sphère réservée à la classe bourgeoise qui, elle, a du temps à consacrer à cette activité de l’esprit ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Disons que moi j’ai vécu dans l’urgence des « quartiers ». J’ai des parents qui viennent du bled, comme beaucoup d’autres, ce sont des parents qui ne peuvent pas faire 15.000 choses, ils sont en train de découvrir le pays, ça met des générations avant d’arriver à former des gens qui pourront un jour arriver à un certain niveau. Il faut comprendre le pays : il faut arriver, observer, s’intégrer etc. Mais j’ai envie de te dire que je traînais avec toutes sortes de catégorie de personnes… C’est vrai aussi qu’on a d’autres soucis que de nous amuser à produire des écrits… Moi personnellement, j’aimais beaucoup traîner dans la rue avec mes amis et en effet dans ce roman je parle surtout de moi, des gens que j’ai connus. J’ai des sœurs qui elles, par contre, ont fait des grandes études. Mais les personnages de mes romans, ils ne symbolisent pas forcément quelque chose. Ce sont des caractères qui servaient à mon histoire !
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Aminata
À un certain moment (pages 125-126) Sébastien fait une petite prière concernant son match du dimanche, le bien être de sa famille et il arrive à inclure tout « Louis Armand ». Son quartier est donc vu comme un berceau protecteur. Plus tôt (pages 72-73) vous avez décrit un match de football organisé entre habitants de différents immeubles. Vous montrez le genre de liens d’amitié et de solidarité qui peuvent naître dans ces typologies de quartier.
Trouvez-vous que ces liens durent toute la vie ou qu’une fois changés d’ambiance (par exemple, on déménage ailleurs) ils peuvent se transformer en conflit ?
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Ça dépend de l’amitié, comme chaque amitié dans n’importe quel milieu. Des fois c’est « loin des yeux, loin du cœur », c’est comme ça pour certains amis. Mais il faut dire qu’il y a quand même un sens d’appartenance très fort. Déjà au niveau architectural… la façon dont les immeubles sont construits fait qu’ils sont en bloc et tu as l’impression d’appartenir à un ensemble de personnes. Ce qui est sûr et certain c’est que ton quartier ça reste en toi, même si tu as grandi tu ne l’oublies jamais et c’est chez toi. Je veux dire : tu peux aller en Espagne, en Italie ou en Allemagne faire toute ta vie, mais si t’as grandi dans un quartier ça reste ton quartier, avec les ambiances populaires que t’as vues dès ta naissance, et si tu rencontres quelqu’un qui a grandi dans le même environnement t’es content. Quand tu es petit et tu te bats avec des gens du quartier à côté, tu représentes tes amis, ta famille, il y a une sorte de fierté, la fierté du pauvre… Et j’ai envie de te dire que c’est la même chose à grande échelle, si t’es italienne et tu rencontres d’autres italiens à l’étranger qui ont réussi ou ont fait des bonnes choses, t’es un peu fière, t’es contente que vous partagiez les mêmes origines…
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Aminata
L’aspect de conditionnement exercé par le quartier est visible aussi dans En attendant que le Bus Explose à travers la lecture des propos suicidaires et homicides de Bonheur qui parle à son billet de 5 euros : « C’est tous ces gens du quartier qui nous ont détruits, tu le sais. Je pourrais leur tirer dessus, mais pour aller où après ? Je ne peux plus rester. Je dois mourir aussi, car s’ils sont pour beaucoup dans mes problèmes, j’ai aussi ma part de responsabilités. Personne ne me fait plus pitié, jumeau, j’ai été trahi par des pauvres, humilié par des riches, écœuré par ma famille ». (page 137)
Le « simple » fait de grandir dans un quartier plutôt qu’un autre peut modifier à ce point la vie d’une personne ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Ce qui est sûr c’est que dans un « quartier » tu vis la vie en accéléré. En tout cas en France tu vois des choses que tu ne verras nulle part ailleurs. Parce que la misère entraîne plein de choses. La violence, déjà : j’ai vu des bagarres, de la violence que je ne vais jamais oublier. C’est comme ça. Donc ça te marque à vie. Pour ça des fois les banlieusards sont pris pour des oufs. C’est parce que leur vie avec tout ce qu’ils ont vu, entendu et vécu les a marqués. Tu vois « le côté obscur ». Quand tu te balades sur Paris ou dans les quartiers en banlieue tu remarques tout de suite la différence dans les comportements, dans la façon de parler. Si tu ne connais pas tu vas te dire « les mecs ils font peur, c’est vraiment un autre monde… ». Plus les gens sont pauvres, plus les problèmes sont, on va dire, voyants.
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CONTRE L’ATTITUDE A SE POSER EN VICTIMES
Aminata
Dans la préface de Banlieue Noire on voit la critique de ceux qui se posent en victime, la même qui est présente dans vos romans. Lilian Thuram écrit que si c’est vrai que « Qui sème la misère, récolte la colère », c’est aussi important de dire que « la pauvreté n’explique pas tout (…) l’échec devient une valeur, une règle. On ne lutte pourtant pas contre l’exclusion, l’injustice et la discrimination en se tirant une balle dans le pied.» (page 9) Entre la page 118 et la page 119 du même roman le dialogue entre El Magnifico et Alilou la Seringue a l’objectif d’élever une sorte de jugement négatif contre les personnes qui utilisent la cause migratoire pour s’ériger en victimes, même en étant responsables de certains crimes causés par leur désespoir de réussir dans le monde de la légalité clash of clans bilder zum herunterladen.
À votre avis, il y a beaucoup de gens qui se cachent derrière le système ? À quel pourcentage le choix des individus est-il responsable de leur condition par rapport aux dégâts causés par le système ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Moi je n’ai pas voulu créer un monde bipolaire où il y a les méchants et les gentils. J’ai essayé de faire passer des messages et de dire ce que j’avais à dire. Intelligemment, si possible ! Ça ne serait pas crédible si tu disais qu’il y avait les méchants et les gentils. Quand tu écris un livre il faut chercher de le faire de façon intelligente. Quand tu joues la victime, tu fatigues tout le monde… Avant que tu sois là, avant que tu naisses, il y avait déjà des gens qui se posaient en victimes. Moi je suis un type… je n’aime pas parler pour rien. Je pense que la fierté c’est important. Et ça ne veut pas dire écraser les autres, mais être fier de ce que tu es, d’où tu viens, par rapport à ce que t’as pu faire… voilà, être serein, en paix, tranquille, sans complexe !
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L’ECOLE
Aminata
À la page 68 de Banlieue Noire vous nous expliquez le drame d’un système de valeurs intériorisées à l’école : «Les glaires sur le tableau, les coups de pieds en classe, les jets d’armes, les portes fracturées, la crise de nerfs des professeurs, le non-respect de l’autorité, je n’ai rien vu d’autre, je n’ai rien fait d’autre. Personnellement je n’ai pas le souvenir que ces gestes m’aient un jour indigné. Ils font partie du cours, des leçons à retenir, que tu sois une petite fille fragile ou un garçon robuste. Ils sont en nous à jamais. Ils régiront nos actes futurs, et feront de nous les adultes que nous serons plus tard : des êtres difficilement compréhensibles pour la société. »
Ça a été le cas de votre parcours scolaire ? À quoi vous imputez cette violence précoce des enfants ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Non, pas du tout. Personnellement j’ai été en école privée mais en école au quartier aussi. J’ai été en sport-étude en province. Mais après, surtout… voilà, je viens d’une cité et j’ai grandi avec des types qui passaient toute leur vie dans ce système. Donc je parle aussi d’eux ! A partir de là c’est simple… ils vivent dans le même quartier où il y a leur école. Donc ça devient un ghetto. Et c’est donc difficile d’être « différent ». Comme on y passe son adolescence, ça joue énormément sur l’homme qu’on devient. Mais il faut dire qu’il n’y a pas que du négatif ! En tout cas, tu le vois très facilement comment on grandit ensemble parce qu’on a le même argot, la même façon de saluer…
Donc pour ce qui concerne la violence à l’école, elle reproduit ce qu’il y a à l’extérieur ! Comme je l’ai écrit, il y a juste une grille qui sépare les deux, t’es toujours avec les mêmes, c’est presque une consanguinité… les problèmes se transposent dans l’école, car ils sont énormes… les riches sont dans les écoles de riches, hein ! Tout se reproduit ! Moi je pense que la mixité sociale est très importante, elle change tout. Moi je suis parti grâce au foot et ça a joué énormément, j’ai pu avoir du recul vis-à-vis de tout…
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Aminata
Il y a un gap très fort entre ce que l’on apprend en cours et ce que la route nous fait connaître. À propos de cette différence Sébastien, le protagoniste, dit être devenu « un être instable, ayant du mal à s’expliquer, à commenter ses choix, à choisir entre droit chemin et errances, entre bien et mal, agitation et calme, intelligence et bêtise. » (page 14)
A votre avis, où et dans quel genre de manifestation l’école se trouve en échec ?
Réponse de Thomté Ryam |
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L’école c’est comme le décalage entre la télé et ce qui se passe vraiment ! C’est très théorique… quand on regarde la télé on pense que juste en la regardant on vit la chose, par exemple ce qui est en train de se passer au Mali, mais en réalité on vit rien du tout. Donc : l’école c’est très bien, c’est très important et voilà… après mon morceau ce n’était pas pour accuser l’école, mais c’était pour montrer qu’il y a des gens qui sont trop marqués par ce qu’ils vivent à l’extérieur pour faire attention à ce qu’on leur raconte en cours. Pour eux, c’est du vent. En tout cas ce n’est pas une généralité, ça reste un comportement de personne dans mon livre.
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Aminata
Sûrement les professeurs ont quand même un rôle très important dans la vie de l’école, vous ne pensez pas ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Bien sûr ! Mais on ne va pas se mentir là-dessus : ça reste une école dans un système. L’école est financée par le système, voilà, tu sais ce que ça veut dire. Il y a des choses que tu veux dire mais que tu ne peux pas dire, il y a des choses que tu veux faire mais que tu ne peux pas faire… A l’école tu ne peux pas dire toutes les vérités, tout le monde le sait : c’est l’école française, de la République… Ils ne veulent pas réveiller des vieux démons. C’est l’histoire racontée par les vainqueurs ! J’ai découvert tout seul des choses qu’on m’a cachées… maintenant je parle avec le recul. Quand t’as un certain âge tu gobes, tu prends… Après tu comprends très vite que ce n’est pas le savoir le plus important, oui il est bien sûr important, mais trouver un boulot aussi. Personnellement je n’ai rien appris qui m’ait marqué à l’école.
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Aminata
Donc l’école est aperçue comme un moyen pour trouver un travail et non pas aussi comme un but en soi…
Aminata
Dans Banlieue Noire vous décrivez une école qui reflète le même environnement qu’il y a à l’extérieur et qu’elle se trouve en plein cœur de la cité où habite Sébastien. Il la décrit de cette façon : « les mêmes fils d’immigrés, les mêmes esprits, le même argot, les mêmes bagarres, la même façon de se saluer. Il n’y a pas beaucoup de différence entre être dedans et au dehors de l’école, deux mondes seulement séparés par une grille qui s’effrite de jour en jour. » (page 51). Et à la page 16 vous introduisez un discours qui a le but d’expliquer que la mixité sociale dans les collèges est un facteur très important qui sert à donner à tout le monde l’espoir de rentrer dans des lycées généraux au lieu d’être orientés avec tous les gens du propre quartier dans des filières techniques. Être dirigé vers un collège en centre-ville est donc une chance qui peut changer le parcours de la vie d’un jeune de banlieue, lequel, en sortant des codes de son quartier il peut expérimenter des nouveaux rôles mavic air filme herunterladen.
Connaissez-vous personnellement des jeunes auxquels cette modification d’ambiance a fait changer de perspective ?
Aminata
Le professeur de musique de Sébastien semble aimer tant ses élèves… mais il est vu, par le protagoniste, comme un homme qui de toute façon ne voudrait jamais leur faire fréquenter ses enfants. La philanthropie a ses limites…
Est-elle compréhensible cette attitude ? Ou vous semble-t-elle porteuse d’une dérangeante « mauvaise foi » ? Et pensez-vous que les élèves qui ressentent cette distance ont plus l’envie de la raccourcir ou de se marginaliser encore plus ?
Réponse de Thomté Ryam |
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C’est à l’État, dans ce cas, de faire les choses ! Il ne faut pas rêver sur une mixité faite par les individus ! C’est l’État qui doit fixer les règles… Ou ils décident de s’auto-reproduire entre eux, ce qui peut arranger certains, ou bien ils décident de mélanger les gens pour donner « une chance à chacun de réussir sa vie ». Maintenant, par rapport au prof… moi si demain j’ai un enfant, je ne vais pas l’inscrire dans un collège où tout le monde est KO, juste pour dire voilà, je suis gentil, je suis quelqu’un de bien… c’est la vérité, je vais vouloir le mieux pour lui. Tu sais ce que c’est le collège de Zep ? C’est KO ! À partir de ça c’est à l’État de mettre des normes… ce sont leurs obligations ! Ce sont eux qui doivent lutter efficacement contre ça. Ce n’est pas au prof de musique. Lui il défend son terrain. Par contre s’il faisait le contraire et qu’il souhaitait que ses enfants fréquentent le même milieu que ses élèves je lui dirais « bravo, chapeau ».
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Aminata
Il y a un morceau qui m’a touchée, celui où en parlant d’un centre socio-culturel du quartier Sébastien dit : « Certains y sont restés tellement de temps que leurs parents n’ont pas eu le temps de les élever. » Et on voit ensuite la description d’un personnage très positif, l’éducateur Nassim qui « dirige le foyer, organise des projets pour nous éviter de galérer ».
Vous trouvez que, par rapport à votre expérience, les éducateurs ont plus d’influence sur les jeunes par rapport aux professeurs, aux assistants pédagogiques ou d’orientation ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Il y a beaucoup d’éducateurs qui ne servent pas à grand-chose. Il y a des éducateurs qui sont mis là juste pour qu’on puisse dire de l’organisation : « ah ils font des choses » ; mais eux aussi ils se retrouvent face à des inégalités qu’il faut regarder à l’échelle mondiale… Dans mon expérience personnelle je peux dire qu’on a toujours besoin de quelqu’un, moi je suis tombé sur des éducateurs très bien, qui m’ont aidé, heureusement qu’ils étaient là. Oui, mais j’ai envie de te dire que dans cette société les problèmes doivent être pris à la racine ! Moi j’étais médiateur, j’ai fait plein de médiation et je sais comment ça fonctionne. Les inégalités sont criantes, il y a des familles compliquées… c’est comme quand il y avait la guerre et que Kofi Annan a envoyé les casques bleus, oui, ils étaient là, mais il y avait quand même la guerre ! Les éducateurs ne sont pas mal mais ils pourraient être mieux.
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LES AMBITIONS
Aminata
El Magnifico, un des protagonistes de En attendant que le bus explose, retourne dans le quartier où il a grandi, à Dreux et il découvre le parcours qu’ont suivi ses anciens amis d’adolescence. Les mots qui reviennent le plus sont : rap, prison, étrangère, religion, accident de voiture, foot, commerce et drogue. Quand il demande qui a réussi on lui répond « Bachir a ouvert un Grec-Frites ». Sa réaction montre la déception pour ce genre de réussite, considérée le summum à atteindre.
Pour vous quelle est une vraie réussite ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Par rapport à d’où l’on vient, tu sais… avoir un BTS à l’époque c’était magnifique, on partait de tellement bas qu’il n’en fallait pas beaucoup pour que le niveau soit bien ! Moi quand j’écris une histoire je n’ai pas envie que ça parle des gens qui rentrent chez eux, où il ne se passe rien.
En tout cas une vrai réussite ce n’est pas quelque chose de palpable. C’est déjà se sentir bien dans sa tête, dans sa peau et aller là où tu veux arriver, c’est tout. Mener la vie que tu rêvais de faire quand tu étais gosse. Et si le rêve c’est d’ouvrir un grec-frites, d’être ouvrier… le métier ça ne se mesure pas par rapport à l’argent que tu gagnes ! Bien sûr quand j’ai parlé de ça j’ai voulu montrer que les gens viennent de tellement bas que, ouvrir un grec-frites, acte qui dans certains milieux n’est même pas calculé, chez nous c’est une petite réussite, c’est quelque chose de bien : le mec s’en est sorti. Il n’est pas parti en prison etc.
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Aminata
Sébastien est plein de bons propos. À un moment il arrive à dire qu’il ne va pas sortir samedi soir car le match de foot auquel il souhaite participer le dimanche est trop important pour sa future carrière. Mais malheureusement il ne croit pas à ses propres promesses. Il s’agit d’un jeune entouré par des personnages très différents entre eux ; il y en a certains positifs et parmi eux Boubacar, garçon qui « a connu la rue et ses drames, la traîtrise, l’isolement », choses qui l’on fait réfléchir. Pour ça il introduit chez Sébastien le concept de libre choix, souvent oublié au profit des logiques de groupe. Mais très tôt après l’avoir écouté, notre protagoniste dit : « la vie, en cinq minutes, elle peut faire de toi ce qu’elle veut. C’est elle qui dirige. Tu peux avoir les meilleures intentions, mais rien à faire, si elle veut te rendre fou, tu deviendras fou. Tu n’as pas le choix. Si elle veut que tu sois cordonnier alors que ton rêve secret est d’être une star, tu feras peut être une audition pour être acteur, mais… tu finiras cordonnier. C’est sans doute pour ça que je ne me prends pas la tête et laisse le monde mentir à ceux qui osent y croire. »
À quoi est dû ce fatalisme ? Et pensez-vous qu’il soit réellement encré dans la majorité des jeunes des « quartiers sensibles » ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Non, pas spécialement. C’est juste pour dire qu’il y a des images, des situations qu’on vit… difficiles. Il ne faut pas nier l’importance du conditionnement… le décalage de vie par rapport à d’autres gens… Il y a des choses qui sont évidentes, et il y a des personnes qui font tout pour maintenir cette évidence, cette situation. En fait nous nous trouvons dans un système où l’on hérite plus qu’on mérite. C’est ça que j’ai voulu montrer… Il y a beaucoup de mensonges par rapport à ça. Le fatalisme oui, il est dû aux facteurs qui rentrent en jeux dans la vie sociale, aux croyances que t’as quand t’es petit… Si tu vois que ta couleur de peau et ton origine sociale ont du poids tu vas te décourager et alors le fatalisme né dans ta tête. Il ne faut pas non plus se décourager. Peut-être que ça semble contradictoire ce que je vais dire mais nous sommes quand même dans une société où l’école est publique, il faut se battre amazon prime am pc downloaden!
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SAGESSE ET FOLIE
Aminata
Dans Banlieue Noire Sébastien comprend que la solitude d’un garçon comme Omar est en réalité la solitude d’une personne qui a voulu voir la vérité en face. Il le regarde dans les yeux pour la première et dernière fois car Omar partira du quartier juste après la mort de Christophe (page 160-161). En pensant aux personnages d’Omar, Madame Grenier et de Pappy Brossard dans « Banlieue Noire », mais aussi à Anthony et d’autres individus je remarque une certaine attirance vers les personnes marginales.
Pensez-vous que ceux que la société regarde comme porteurs de déviance ou de folie sont en réalité les gardiens d’une sagesse cachée ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Eh, t’as des sacrées questions toi ! En fait, moi ce que j’ai voulu montrer à travers ces personnages c’est de répondre à la question : qui sont les fous ? Et montrer que la limite entre la sagesse et la folie est très faible. Tous ces personnages, madame grenier, Pappy Brossard, Omar, Sébastien, sont tous des personnages qui vivent dans le même endroit. Il y a quoi qui les séparent ? Rien du tout ! Enfin, oui, certains sont fous, d’autres « normaux » mais j’ai envie de te dire que c’est subjectif. On peut montrer du doigt, mais la limite est très faible, très restreinte. À la fin Sébastien, qui était « normal » bascule et devient la personne qu’il montrait du doigt.
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L’ARGENT
Aminata
C’est surtout dans votre deuxième roman que vous vous concentrez sur cette thématique. Dès la page 31 vous introduisez le personnage de Bonheur (dont le vrai nom est Johann et dont ce pseudonyme vient de son habitude passée de rimer avec pessimisme et rage) : il a 23 ans, il a arrêté l’école depuis 6 ans, à partir de la mort de son meilleur ami dans un accident de voiture, sa vie n’est plus la même. Il se décrit dans un billet de 5 euros dans lequel il voit son destin de petit poisson dans une mer où les gros poissons ont le droit d’exister en disant : « j’ai lâché petit à petit le rap, pour militer dans des associations. Ça m’a permis d’aller au Tchad, à N’Djamena, tout l’opposé de New York, une ville fascinante que j’avais découverte lors d’un voyage avec Ahmed. Ce que j’ai vu en Afrique m’a révolté, je m’étais promis d’y retourner un jour, mais pour cause de divergences avec les associations, mon retour là-bas se fera plus tard (…) J’aligne les joints, les bières, les alcools forts, prenant le ciel pour cible. Billet, je cherche à tuer le temps. Je travaille, je suis le clown du Prisunic, et mon métier consiste à distribuer des bonbons aux enfants (…) c’est dur de valoir cinq euros dans ce monde, si tu savais, on te manque de respect, on t’exploite, on t’écrase comme une merde ». Pourtant, dans Banlieue Noire, Sébastien avait expliqué, à la page 18, « Ce ne sont pas les grosses voitures, les belles bagues, les grandes baraques qui m’intéressent. Il me vient d’autres choses à l’esprit : casser la tête du flic qui m’a traité de ‘sale nègre’ sans avoir de problème, rentrer dans les boîtes de nuit qui me refusaient l’entrée avant et faire caca dans leurs verres, acheter les gens, faire l’amour à l’œil, avoir mon bac Honoris causa, tout plaquer du jour au lendemain et aller en Australie raconter ma vie à un aborigène. Le bonheur, ça ne veut rien dire. Juste montrer que je suis là et que j’existe, être libre. »
Donc le vrai malaise, à votre avis, ne serait pas lié au désir d’enrichissement, mais simplement à une négation existentielle subie pas certains jeunes dans notre société. Cette négation concerne quels aspects de la vie ? L’exclusion économique semble être la pointe d’un iceberg. Nous on voit ça mais il y a des raisons plus profondes, n’est-ce pas ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Bien sûr, je suis d’accord avec toi. Il y a des raisons plus profondes. On a tous une envie de reconnaissance. On a tous eu envie d’exister, d’être reconnu. Après le nerf de la guerre c’est l’argent ! C’est toujours le même problème. On est dans une société ultra-capitaliste où l’on sur-consomme. Pour moi, la façon la plus facile « d’exister » et de revendiquer ses idées prévoit qu’il y ait de l’argent : il faut de l’argent pour faire les choses qu’on veut. Après je sais très bien qu’on peut parler, qu’on peut crier en ayant rien, mais pour être crédible… il faut avoir quelque chose et pouvoir aussi profiter de sa vie. Pour ce qui me concerne, aujourd’hui je suis écrivain… mais pour que ma parole porte il faut que je sois médiatisé, il faut que je vende des livres. Il n’y a que comme ça qu’on va s’intéresser à ce que je fais. Je n’ai pas envie d’être confiné dans un petit rôle, dans un petit endroit… avec rien. Pour moi pour bosser et faire ce que l’on a envie de faire… il faut de l’argent. C’est le point de vu de beaucoup de jeunes, c’est vrai qu’à une époque je me disais que c’était un faux discours, mais maintenant que je prends de l’âge, je me rends compte… je n’ai pas envie de dire qu’on est pris au piège mais… pour ne pas avoir un con qui te dit ce que tu vas faire dans la vie ou un patron qui te donne des ordres… il faut de l’argent, c’est un synonyme de liberté.
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LA VIOLENCE
Aminata
Dans Banlieue Noire Farid, le meilleur ami de Sébastien, a eu tellement d’embrouilles dans son passé, qu’il a peur de marcher tout seul dans la rue, car c’est « beaucoup trop risqué, trop stressant ». Il est conscient que en grandissant, peut-être père de famille, « il croisera peut-être des ennemis de dix ans prêts à tout pour se venger, ou encore des jeunes qui l’agresseront, tout comme lui avait agressé pour de l’argent une femme avec ses deux enfants. Sans rire, ce jour-là, il a dû bouleverser leur vie. Mais bon, le monde est ainsi fait, et puis est-il pire que tous ces gens qui le montrent du doigt ? Ils veulent le faire passer pour un grippé alors que c’est toute cette société qui est malade. » (page 97-98)
Pensez-vous vraiment que des jeunes comme Farid peuvent ressentir la maladie de la société au point de se croire justifiés dans leurs actes de violence ?
Réponse de Thomté Ryam |
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On trouve toujours un bouc émissaire quand on fait quelque chose de mal. Dans les beaux quartiers on va dire que c’est la faute de la banlieue, dans la banlieue on va dire que c’est la faute des beaux quartiers. C’est toujours la même chose. Après quand tu poses des questions à ces jeunes ils trouveront toujours une excuse : c’est la pauvreté, c’est l’inégalité… pourtant des fois on fait même du mal à des gens plus dans le besoin que nous. Ce n’est pas qu’on est lâches mais… on trouve toujours des bonnes excuses : si on va en prison c’est toujours la faute de l’autre… c’est la société, c’est les hommes qui sont comme ça… seuls les plus forts vont se regarder dans une glace et accepter leurs faiblesses. Les autres vont toujours inventer des excuses à leur comportement.
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Aminata
Aux pages 146 et 147 de Banlieue Noire il y a une description : la haine enracinée envers les gens du quartier Jean Mermoz herunterladen. « Je me dis que mes potes seraient capables de me tuer si je déménageais à Mermoz (…) je ne suis pas méchant, mais si je trouve un gars de là-bas, je le saigne comme un mouton et à ce moment précis, j’utiliserai ce que j’ai dans la main, peu importe ce que c’est. Il y a trop d’amour entre mes immeubles et moi (…) Pourquoi nous conduisons-nous comme ça avec des gens qui nous ressemblent ? Je vous répondrais que c’est justement lorsqu’on se ressemble que l’on apprend à se connaître ».
Il s’agit donc d’une haine contre eux-mêmes ? Ou plutôt d’un besoin d’affirmation et de différenciation par rapport à ceux qui leur ressemblent à ce point ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Je dirais les deux. Ça peut être une haine contre eux-mêmes parce qu’il s’agit de gens qui leur ressemblent beaucoup mais après c’est aussi un besoin d’affirmation. Il y a la réputation. D’abord, personne n’a envie de se faire marcher sur les pieds. Les autres vont continuer, ils n’ont pas pitié si tu ne dis rien ! Tous les gens dans le monde, dans tous les pays, se font la guerre. Ils veulent la suprématie, dominer les autres. Pour ce qui concerne les quartiers… quatre mecs qui vont s’embrouiller avec un mec du quartier voisin… ça va s’amplifier parce qu’ils vont mettre tout le monde dans la même case, tout simplement. Dans les pays africains, par exemple au Rwanda, si on était Hutu ou Tutsi on se serait battu… arrivé à un certain moment t’as la haine parce que t’as vu des choses… voilà, c’est l’escalade de la violence ! Moi, par exemple, dans les embrouilles que j’ai eues je n’ai jamais été l’instigateur, mais il m’est arrivé souvent de me battre pour me défendre car c’était ou lui ou moi ! Les pauvres ont toujours utilisé la violence. Dans les quartiers bourgeois c’est des autres méthodes, tout simplement !
Mais je pense qu’à propos de ta question sur les quartiers ce n’est pas qu’ils se détestent eux-mêmes, il n’y a pas de l’autodestruction, non. Peut-être est-ce un sentiment qui joue une petite partie dans l’affaire, mais c’est surtout une affirmation de territoire. Dès qu’on te marche dessus, tu te défends. Dans le même quartier tu trouves des histoires d’embrouille entre blocs d’immeubles. C’est des rapports de force, comme il y en a d’autres dans le monde.
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LE PESSIMISME
Aminata
Dans Banlieue Noire Sébastien dit « Dans cette société où je vis, le bien ne peut rien sans le mal, l’Abbé Pierre ne peut rien contre un 7,65. Il vaudrait mieux qu’il en tienne un dans la main pour se défendre, et tirer une balle en l’air s’il veut avoir la paix. Mais je sais que vous êtes des gens formidablement bons. Vous ne comprenez pas qu’on puisse tenir un tel langage ». (page 162)
Pensez-vous que si l’on veut prêcher de bon propos à ceux que l’on considère, il ne faut jamais quitter une attitude de méfiance ?
Réponse de Thomté Ryam |
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La moindre des choses c’est savoir se défendre. Il faut être conscient qu’il y a des gens qui peuvent t’embêter. Quand je parle à une personne je suis tranquille, pas forcément méfiant mais au cas où, je ne me laisse pas faire, si tu m’embêtes je te rentre dedans ! Je suis comme ça, j’ai grandi dans le « quartier ». Je m’adapte à la personne qui est en face de moi. Si elle est cool, je suis cool, si elle fait sa maline, je fais mon malin. Quand tu vis en communauté c’est normal.
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Aminata
Le final de Banlieue Noire est extrêmement triste car Sébastien, après avoir fait de la prison et s’être retrouvé violent comme avant si non pire, après avoir compris toutes ses erreurs et ceux de sa génération, retourne dans son quartier et s’assoit sur le banc où il s’asseyait avant. Omar et commence à parler tout seul. Un gamin, qui auparavant pouvait être lui, crie de rentrer chez lui. Dans En attendant que le bus explose le final ne laisse également pas d’espoir : le « Bonheur » physique (un homme) et symbolique (un concept) explose et se désintègre.
Le final de vos deux romans est une prophétie pessimiste concernant les nouvelles générations ? Ou un avertissement ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Ce n’est rien de tout ça ! Un roman c’est un roman, ce n’est pas la réalité ! Moi un roman ça ne peut pas me faire pleurer, ça ne me touche pas ! Ça reste un livre. Pour moi il y a la vie et à la fin il y a la mort. C’est tout. Donc c’est tout à fait normal de mettre, dans mes livres, des personnages qui vivent leur vie, qui s’amusent et après qui meurent. Pour moi ce n’est rien d’exceptionnel. L’important c’est de nourrir le livre. Peu importe s’il y a un mec qui se suicide avec une balle dans la tête, mais ça n’empêche pas qu’avant tu t’es amusé et tu as passé du bon temps, t’as fait l’amour etc. Donc pour moi ce n’est pas triste. La fin que j’ai racontée n’est pas triste parce que ça voudrait dire que nos vies aussi sont tristes. On va tous y passer !
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UN DISCOURS SUR LE RÔLE DES ARTISTES
Aminata
El Magnifico et Anthony sont deux artistes qui se rencontrent à un moment sombre de leur vie. El Magnifico, d’origine burkinabée, a écrit un roman et il est à la recherche d’un éditeur, il vit chez son cousin et il doit reconstruire sa vie. Anthony, d’origine antillaise, vit dans ce qu’il définit un « squat merdeux » dans le XXe arrondissement et il joue de la guitare dans les métros et les parcs. Ils se considèrent tous les deux des artistes incompris. Anthony expose son point de vue sur leur situation en disant que « sa vivacité d’esprit, son courage, font que le grand public ne s’intéresse guère à ses talents car le grand public préfère les artistes vides, sans intérêt, et qu’il n’est bon qu’à traiter les gens comme lui de ‘fous’ parce qu’ils sont différents (…) en tant qu’artistes, lorsqu’on n’est pas comme tout le monde on reste incompris, et le jour où on réussit à être apprécié c’est qu’on est devenu comme tout le monde ».
Est-ce que c’est votre point de vue exprimé par la bouche de ce personnage ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Non j’exagère, il est relou dans ses propos ! Mais il faut savoir que la « création artistique » est souvent proche du business. Vendre des livres ou des CD, comme on vend des aspirateurs, des portables, peu importe…c’est ça que je voulais exprimer. Il y a des gens qui n’ont pas la reconnaissance qu’ils méritent parce qu’ils n’ont pas les bonnes connections. Et d’autres qui sont des arnaques et qui vendent leurs produits à des pigeons visual studio 2019. Ce qui compte pour moi c’est de faire quelque chose de qualité, que les gens se reconnaissent, qu’ils passent un bon moment, qu’ils aient des émotions en lisant mes mots…
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Aminata
Vers la fin (page 143-144) il y a une conversation très intéressante entre El Magnifico et Anthony. Le premier, grâce aux connaissances de son vieux voisin, va être édité et le deuxième va sortir un album. En fait on voit que maintenant qu’ils se sentent écoutés et reconnus par la société ils sont beaucoup moins haineux envers les injustices de ce monde et ils se montrent disposés à tolérer les contradictions françaises détestées auparavant. J’ai, à propos du final et de cette conversation entre ces deux personnages, plusieurs questions. Le geste de Bonheur a le but de nous montrer que la souffrance d’une seule personne, si elle est amenée à ses extrêmes, est dangereuse pour la joie des autres. Donc, tant qu’il n’y aura pas de justice et de partage, aucun d’entre nous ne sera à l’abri de la souffrance, même quand elle semble loin. Dans le bus qui explose, le fait qu’il n’y ait pas seulement des personnages négatifs comme Maxou, Anastacia ou le chauffeur mais aussi deux artistes bienveillants à l’origine (El Magnifico et Anthony).
Symbolise-t-il le fait qu’en ayant oublié que leur art devait être un moyen de dénoncer quelque chose et non pas être un but, ils ont trahi le reste de l’humanité ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Ils n’ont pas trahi le reste de l’humanité. Chacun réagit à sa façon… le but c’est que l’œuvre reste, que le contenu, ce qu’ils voulaient exprimer reste… après leurs comportements individuels ce n’est pas forcement important. Chacun réagit à sa façon par rapport au succès. D’un certain côté on est tous pareil : peut-être il y a des gens qui nous énervent qu’on a envie de voir disparaître et en y pensant dans notre coin on trouve ça super, on est content, mais une autre partie de nous-mêmes dit que c’est grave et qu’on a pas à se venger parce qu’on se sent mal ou qu’on va pas bien… et qu’on a pas à aller faire du mal à des gens « innocents ». A la fin du roman il y a un mélange entre les personnages qu’on n’aimait pas trop et d’autres dont la mort nous rend tristes.
Bonheur, ce qu’il veut dire c’est « voilà sans rien ce que je suis capable de faire » avec un billet de 5 euros, lui qui vaut 5 euros ! Il représente la revanche des bannis. Il montre que ce n’est pas parce qu’il est pauvre ou dans la rue que si un jour il veut faire du mal il ne peut pas le faire. Il peut affecter les autres comme n’importe qui d’autre. Il veut punir les autres.
Dans le bus il y a de tout : des crapules, des gens bien… mais au final tout le monde va partir, peu importe le genre de vie menée avant. C’est des destins qui se croisent.
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Aminata
Pensez-vous que qui arrive à rentrer dans l’Olympe des artistes est déjà pour moitié compromis et que donc, chaque artiste affirmé, le voulant ou pas, est connivent avec le système ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Il faut se demander c’est quoi l’Olympe des artistes et c’est quoi être reconnu. Si c’est passer à la télé ou dans des émissions… pour moi c’est une question de qualité et tu sais quand tu fais un bon boulot et que ton travail touche les gens. Moi si je sors de mon coin c’est déjà pour changer et dire les choses que je pense, sans me renier. Un jour peut-être, à travers des circonstances particulières je serai connu, tout ce que je veux c’est que ce que j’écris me corresponde. Je ne vais pas modifier mes textes pour passer dans les cases télé. Tu sais quand t’as triché et quand tu n’as pas triché. Avec des bons managers tu peux gagner beaucoup d’argent, vendre des millions de livres… mais tout le monde sait quand c’est nul en vérité. C’est des sensations, tu le ressens.
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VOS MESSAGES
Aminata
Il m’a particulièrement touché, dans Banlieue Noire, le discours prémonitoire du père de Christophe, appelé « Muhamad Ali » pour son aspect et ses habitudes assez violentes vis-à-vis des petits du quartier qui faisaient des bêtises : « Il faut être sérieux, bien manger, dormir suffisamment, c’est important. Il ne faut pas que vous finissiez comme nous. Regarde-moi, ça fait vingt ans que je suis dans ce pays, je n’ai rien vu d’autre que ce foutu bordel (…) Quand vous venez d’endroits comme les nôtres, que vous soyez blancs, noirs ou jaunes, tout est plus dur. Ils auront beau dire, ici c’est plus compliqué. J’ai échoué comme mon père avait échoué avant moi et comme la plupart de nos enfants échoueront. Mais si vous ne voulez pas être de ceux-là, faites un peu travailler votre cervelle et bossez dur. »
Est-ce votre pensée, se référant plus à une catégorie sociale qu’à une communauté ethnique ou religieuse, qui est glissée dans la bouche de ce personnage ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Pour moi c’est une catégorie sociale, la misère. C’est réducteur de la lier aux origines, à la couleur de peau… Quand tu vis dans le même milieu toutes les personnes vivent les mêmes choses ! Dans Banlieue Noire tu vois la mort et tout ce qui l’entoure, tu vois la violence… c’est palpable. Par exemple, dans le rapport entre Sébastien et Omar j’ai voulu dire que si ça pouvait arriver à lui, ça pouvait aussi t’arriver à toi, vous êtes trop proches pour être protégés. Le père de Christophe fait ce discours parce qu’il a un certain âge et qu’il a du recul, de l’expérience pour s’exprimer ainsi.
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Aminata
Christophe est, involontairement, la cause de la mort de sa mère. Nous n’allons pas dire pourquoi mais en lisant ce morceau dans Banlieue Noire je me suis demandée si vous ne vouliez pas passer ce message : celui que l’on considère comme l’Autre, l’étrange étranger, le différent, est en réalité ce que nous sommes aussi car nous nous équivalons. Christophe ne respecte pas les droits d’une inconnue qui se révèle être sa mère. Le message est-il bien : l’Autre c’est moi ?
Le message est-il bien : l’Autre c’est moi ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Christophe il s’en est pris à quelqu’un, il n’a pas respecté l’autre car il voyait son acte comme quelque chose qui n’allait pas l’atteindre personnellement… et il se rend compte juste à la fin qu’il s’agit de lui, qu’il a fait du mal à quelqu’un de sa propre famille. Faire du mal aux autres c’est quelque chose qu’il a du faire 15.000 fois. Sauf que normalement il embêtait des gens en pensant que ça n’allait pas le toucher… cette fois-ci ça était le bon moment pour qu’il comprenne que toutes ses conneries il allait les payer un jour. Et son attitude rentre dans le personnage que j’ai voulu montrer : un mec qui triche avant tout avec lui-même et qui n’accepte pas son côté métisse ou qui – les circonstances le montrent – veut toujours en faire plus… Mais là, à la fin de l’histoire, il a franchi la ligne rouge. Son jeu s’arrête là.
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Aminata
Vous êtes en train de travailler à un nouveau roman ?
Aminata
Quelle est la thématique de votre nouveau roman ?
Aminata
Et à propos du fait que vous êtes écrivain de romans mais aussi scénariste, j’ai remarqué que vous avez une écriture cinématographique : vous vous considérez plus fils des mots ou fils des images ?
Réponse de Thomté Ryam |
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Je me considère un fils des images… et un fils des mots ! On peut autant faire des choses cinématographiques mais il faut avoir un certain style d’écriture. En tout cas la façon dont j’écris elle n’est pas calculée. Après il faut dire que je ne suis pas un grand lecteur de livres. Je regarde plus des films et peut être est-ce ça qui m’a influencé. Des pensées rapides, j’aime quand ça va vite ! Je n’aime pas spécialement faire des gros livres, j’aime faire des livres rapides, vifs, vivants, et ça me suffit. J’écris des phrases qui vont droit au but pour que les gens imaginent les scènes rapidement, voilà !
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Merci Thomté Ryam !
De rien, salut !