Rachid Djaidani et moi nous nous rencontrons dans un bar de Belleville qui met de la musique maghrébine à fond. Nous buvons un thé à la mente et nous parlons sans aucune pause pendant une heure !
Dans vos romans j’ai remarqué une certaine difficulté de communication entre générations. Je vous donne un exemple: dans Boumkoeur les principes et les valeurs des parents de Yazad n’aboutissent à rien à cause d’un manque de dialogue avec leurs enfants :
Aziz est un dealer, puis un gigolo. Hamel meurt d’un overdose et Yazad écrit que le chômage « ça devient l’une des seules choses qui se transmettent de père en fils » (page 24).
Une façon pour décrire cette incommunicabilité est celle d’investir « Mimi le chat » d’une signification particulière, comme s’il s’agissait d’un lien auprès d’une famille brisée par le silence:
Hamel, pour rentrer en cachet chez lui, gratte la porte comme le chat, Sonia donne au chat toute l’affection qu’elle n’arrive pas à diriger vers sa famille, le conflit entre Aziz, Sonia et leur père éclate autour de la mort de Mimi le chat et Grézi utilise cet animal pour envoyer des messages sur l’état de Yazad à la famille de l’otage.
Dans Boumkoeur vous décrivez les dégâts que la drogue peut faire dans la jeunesse. L’écrivain italien Pasolini, à ce propos, avait écrit: « la drogue est un succédané de la culture, dans le sens qu’elle remplit un vide causé par le désir de mort. Ce désir de mort est aussi un vide de culture et d’imagination. Pour aimer la culture il faut une grande vitalité parce-que il s’agit d’une possession à conquérir » (La droga, una vera tragedia italiana, page 87).
Pour approfondir la thématique homme-femme…Dans Boumkoeur Grézi, à la page 130, exprime le désir d’être homme et en général, vos personnages masculins se trouvent souvent en difficulté par rapport à la construction de leur personnalité, tandis que les personnages féminins sont plutôt caractérisés par l’ambition, le courage, l’indépendance et la rébellion (comme le montre Gigi dans Mon nerf, Shérazade dans Viscéral et le parcours de la sœur imaginaire de Mounir).
Pour me rattacher à ce que vous êtes en train de dire sur votre émancipation…
Vos protagonistes sont des individus exclus, d’une certaine manière, de leur propre environnement.
Ils me ressemblent pas mal quand même, ahahaha !
Ahahaha! Donc…Yazad a toujours besoin de la protection de Grézi pour s’intégrer dans le quartier musik legalen flatrate. Mounir se voit reprocher par les parents de ses camarades d’école le fait de vivre dans un quartier où la majorité des personnes sont, comme lui, issues de l’immigration et de l’autre côté les jeunes de sa zone lui reprochent son appartenance à la petite bourgeoisie.
On trouve une situation similaire auprès de Lies, qui voudrait réussir sa vie à travers des moyens légaux et créatifs mais qui voit échouer ses rêves: le phone center où il travaille va être cambriolé, sa salle de sport va être brûlée, ses amis vont s’opposer à sa relation avec Sherazade et son premier jour de tournage comme acteur va terminer avec sa mort étant donné qu’il interprète un rôle qui n’est pas celui qu’on attend de lui. Ce seront ses compagnons, paradoxalement, à le punir.
En regardant tous ces exemples je vous demande:
La discrimination de certains français envers les jeunes issus de l’immigration est bien visible, dans vos romans, dans plusieurs passages. Par exemple, Gazouz, le seul personnage intellectuel décrit dans Viscéral, est victime d’une attitude discriminatoire à cause de ses origines, à cause d’une France qui le juge à partir de son nom. Ou encore, on voit de la « discrimination positive » dans le recrutement d’un policier maghrébin qui est défini « plus royaliste que le roi ».
On apprend, donc, que les qualités personnelles risquent de n’avoir aucun poids par-rapport aux origines.
Dans Boumkoeur Yazad révèle à son ami que son seul rêve est celui d’exister et en réfléchissant il continue en disant: « …à nous l’opportunité de saisir nos projets…seuls les actes payent ».
Selon Sartre « l’homme n’est rien d’autre que ses actes ».
Le discours autour des origines est assez complexe. D’un côté dans Mon nerf, Mounir exprime un certain malaise vis à vis de la tradition et de la culture avec lesquelles il a grandi, comme si il ne se sentait pas à la hauteur des attentes que les autres avaient envers lui (à la page 81) et encore, dans Viscéral, il y a la description (à la page 133) d’un Français converti à l’Islam qui est bien plus à fond dans la religion que les autres jeunes qui ont grandi dans la culture musulmane.
De l’autre côté, quand Mounir imagine la vie de la sœur qu’il n’a jamais eue il écrit (à page 75), « Je n’aurais eu qu’un souhait, qu’elle ne renie jamais ses origines car sans racines tout s’éteint » et aussi, au moment de la mort de Ouasine, dans Viscéral, Lies réfléchit sur le fait que dans les évènements les plus significatifs de la vie, la tradition resurgit englobant la personne dans la communauté sans considérer ses choix précédents.
Une dernière question: dans Viscéral la boxe semble constituer un instrument pour canaliser la rage due à une situation de rupture avec la société française mais aussi à une violence quotidienne subie dans plusieurs domaines (celui de la famille, celui d’un groupe d’amis, celui des forces de l’ordre).