Jean-Eric Boulin et moi nous nous retrouvons dans un bar pas loin de l’arrêt de métro qu’il doit prendre l’heure suivante pour son voyage direction Rome, puis Etats Unis. Il arrive avec un gros sac à dos, visage bronzé et bagou rapide !
La littérature aujourd’hui
Aminata :
Au début du Supplément au roman national vous racontez l’histoire d’un ouvrier qui en nettoyant la gare Magenta à Paris a cherché à prendre un objet brillant sur la voie mais qui en s’y approchant a été électrocuté. Il meurt donc dans un piège concernant le désir d’améliorer sa situation économique, sa position de pauvreté. A ce propos vous écrivez : « La littérature fatigue, ignore ce qui brûle, parle de ce qui brille, ce qu’à probablement cru apercevoir ce dandy de Diakabi Djankho sur la voie avant de brûler pendant vingt minutes ». Pour cet homme ce qui brille est un élément de survie, quelque chose d’accroché à la matérialité de son existence.
Et pour l’univers des Lettres, qu’est-ce qui brille ? Votre parallélisme veut signifier que la littérature a toujours eu une position socialement futile ou qu’elle recouvre actuellement ce rôle évanescent ?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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La question est assez complexe. C’est une tragédie qui a réellement eu lieu, celle de Diakabi Diankho. J’ai fait ce parallélisme un peu osé simplement pour dire que la littérature en général, surtout en France, me paraissait être du côté des puissants, de ceux pour lesquels ce genre de tragédie n’arrive pas et que la littérature ne retranscrivait pas ce genre d’événement et se concentrait sur la vie des riches et des aisés… et ça, en France, ça me paraît assez pertinent comme constat.
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Le Postcolonialisme
Aminata :
Dans Supplément au roman national on remarque beaucoup de scepticisme vis à vis des actions menées par l’Etat pour promouvoir la mixité sociale. Je vous cite : « L’Etat jette régulièrement des ponts vers les cités, avec une nouvelle équipe à la mission locale, des poignées de contrats aidés, des journées citoyennes, des ateliers sport, le MEDEF et sa délégation de patrons Beurs. Merdique à rendre mal à l’aise » (page 29). Ou encore, à un autre moment aussi vous parlez d’un Etat qui, avec l’extrémité de ses tentacules, fouette le bas des tours pleines d’enfants (page 42). Ce double jeu semble durer depuis toujours.
Est-ce que vous considérez les actions sociales du Gouvernement français comme des palliatifs cachant les vrais sentiments et les vrais propos d’une partie de la société vis à vis de la question migratoire ?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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Non… mais je pense qu’en France on a un mode de société qui est très vertical avec un Etat qui est censé travailler au bien être de ses citoyens icons kostenlos downloaden. Mais en fait on a un État qui est à mon avis responsable d’un apartheid territorial avec un rassemblement des populations les plus pauvres dans des quartiers identifiés. C’est un Etat à mon avis malin, c’est-à-dire habité par une idée maline de séparation des gens, avec la protection du centre-ville par rapport aux banlieues, par rapport aux périphéries . Et à mon avis c’est une continuation du programme colonial français, il y a vraiment une continuité, d’autant plus forte que les gens qui sont à la tête de l’Etat sont en général des gens dont les parents ont été effectivement à mon avis partie prenante du projet colonial. Mais encore une fois, moi j’ai écrit ce livre il y a très longtemps, il y a sept ans, ça ne me revient plus bien à la mémoire donc je ne suis pas forcément à l’aise pour en parler car ça fait vraiment longtemps.
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Aminata :
Dans plusieurs passage du Supplément vous décrivez le passé colonial comme un mouvement qui en réalité n’est jamais fini. Par exemple, à la page 37 vous écrivez : « La guerre d’Algérie est sur les lèvres (..) L’ Arabe vêtu de sable opposant ses mains nues à un soldat presque blond. Deux paysans qui n’ont rien à se dire et vont mourir. Tout ce silence, la mémoire gelée, jusqu’à aujourd’hui, l’époque des beurs, jusqu’à ces sacs ouverts de blédard, et ce CRS que le pouvoir blanc déguise en Noir. »
A partir des ces mots j’aimerais savoir ce que vous pensez du Mouvement des Indigènes de la République.
A propos de la violence
Aminata :
A la page 146 du Supplément on trouve une réflexion sur le langage de médias. Vous constatez l’inutilité des paroles, dispersées à la télévision par des programmes de variété en y opposant les mots utilisés par des personnes intéressées au réarmement du langage et qui veulent parler des profondeurs vivantes, des souffrances.
Yann Gullois, cet homme qui se rend compte que la misère ne sera jamais à l’ordre du jour car elle menacerait « le Tout », décide de faire feu avec son revolver herunterladen. Sa violence est dictée par le désespoir et on retrouve l’équation : absence de langage = violence aussi dans l’environnement de Kamel Barek (page 32). Pourtant je trouve que dans votre langage il y a une certaine violence descriptive et émotionnelle. Je dirais même que chaque idée de-constructive que vous avez à l’égard de la société est une cartouche dans le revolver de l’écriture et que chaque mot blessant représente une balle dans le cœur du lecteur.
Le final du roman, où la révolte des banlieues arrive à détruire toute la culture française et ces lieux de conservation, est -elle la description d’un fantôme révolutionnaire, un simple exercice narratif ou une possible et réelle façon de ré-établir l’équilibre ?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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J’ai vu les émeutes des banlieues en 2005, j’ai vu une tentative de ré-investir la société, de ré-habiter les lieux, de ré-peupler les rues, et à mon avis ça a été un moment sidérant et capital de la société française, qui est passé inaperçu et qu’on a oublié mais qui pour moi a été fondamental. Je regrette simplement qu’il n’y ait pas de postérité doctrinaire après cet événement et je déplore également qu’il n’y a eu aucune union entre émeutiers de banlieues et puis d’autres segments de la société française. S’ils avaient pu s’unir entre eux on aurait pu aboutir à une évolution plus radicale et nécessaire. Je pense qu’on vit encore dans une société qui est corsetée, où on a du mal à respirer, tout le monde, blancs noirs arabes ! Tout le monde. Moi le premier. Donc je pense que la révolution est toujours à l’ordre du jour. Pour l’instant on en est bien loin et on ne peut pas être satisfait des programmes électoraux que l’on nous propose.. je ne me reconnais pas dans les candidats à la présidence.
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Aminata :
Pensez vous qu’il y a besoin d’une violence, (soit-elle réelle ou sublimée à travers l’écriture) pour changer les choses ?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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La mienne est une violence littéraire à défaut d’une violence politique concrète qui puisse aboutir à des résultats, à des changements, à une transformation quoi ! Pour moi c’est toujours le même modèle français qui marche, c’est les mêmes personnes que je vois, je ne vois pas un renouvellement de génération, c’est la même génération qui est au pouvoir, qui occupe toutes les positions françaises et cette génération est en lutte déclarée avec celle qui la précède et ce combat de générations n’est pas encore arrivé à son terme, il faut encore le mener pour qu’on ait enfin une génération au pouvoir qui représente réellement la France d’aujourd’hui.
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Votre façon de vivre l’écriture
Aminata :
Pendant une entrevue l’écrivain Tahar Ben Jelloun a affirmé : « J’écris pour n’avoir plus de visage, j’écris pour dire la différence urkunde kostenlos. Une différence qui m’approche de tous ceux qui sont en dehors de moi, de tous ceux qui composent la foule qui m’obsède et me trahit. Je n’écris par pour eux, mais à travers eux et avec eux » (Dejeux 1993 : 275-280).
Je retrouve dans cette pensée deux éléments que je crois avoir reconnus dans votre production aussi. Le premier est l’obsession pour la foule des êtres humains avec laquelle vous entrez en contact. On le voit dans votre dédicace, au début du Supplément : « Aux Invisibles », définis plus tard comme
« les forces vives de la nation » (page 76), aussi bien que dans les premières pages de La Question Blanche , où on remarque le désir de rentrer dans la vie des autres, dans sa matérialité et sa psychologie. A propos de cet élément je voudrais vous demander :
Qu’est-ce que vous fascine et qu’est-ce qui vous fait peur dans la multitude ?
Aminata :
Le deuxième élément est le rapport fusionnel que vous semblez construire avec les personnages de vos histoires. Dans vos deux romans vous vous identifiez, sans épargne d’émotion, avec les victimes comme avec les oppresseurs. A propos de ce constat je voudrais savoir :
Êtes vous en quête d’une sorte d’invisibilité qui passe par l’écriture ? C’est-à dire : Votre envie d’exister vous projette-t-elle réellement hors de vous au point que vous arrivez à vous identifier à vos personnages immigrés ou quand vous écrivez restez-vous, malgré vous, emprisonné dans votre contingence ?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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J’écris d’un certain endroit, et après j’essaie d’embrasser des destins différents du mien. Je pense que la connaissance intime de l’Autre n’est pas si difficile que ça. Lorsque on se regarde dans les yeux, qu’on réfléchit et qu’on parle ce n’est pas difficile d’envisager les vies des autres. J’aime bien observer mais tout le monde peut observer, ce n’est pas un don. Tout détail dessine un chemin vers l’intimité. Et ce chemin n’est pas si difficile à suivre que ça. Si on commençait à s’observer, à se détailler et à se voir …on n’en saurait vraiment beaucoup les uns sur les autres app store ipad. Il n’y a pas un rôle particulier dans la matière de l’écriture. Je ne crois pas à une écriture démiurgique qui accomplirait des miracles, qui rendrait intimes les gens les uns pour les autres…ce n’est pas des questions qui me concernent et qui m’interpellent. Moi je n’ai pas de théories sur l’écriture, je n’arrive pas à me reconnaître dans des grandes phrases sur l’écriture, vous voyez ce que je veux dire ?
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Aminata :
A la fin du premier chapitre du Supplément vous annoncez : « Ce récit propagera la haine jusqu’à la concorde » (page 16). Propos qui sera en effet réalisé à la fin du roman. Je retrouve le même processus (c’est à dire du négatif au positif) dans La Question Blanche, car même si le thème de la mort ne quitte jamais le lecteur, à la fin, une sensation de chaleur et de besoin des autres envahit la narration.
Est-ce que le ton dramatique de vos écrits cache, en réalité, un optimisme profond ?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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Tout à fait ! Je cherche, modestement, à célébrer les forces du vivant, à célébrer la joie, le feu ! je cherche à écrire des livres qui poussent dans le dos ! Je n’aime pas du tout les livres pessimistes, geignards, plaintifs…ça m’intéresse pas du tout. Et je trouve qu’en France c’est un peu le genre dominant :.le nihilisme absolu, la négation de tout…tout est pourri, à la Régis Jauffret par exemple, dans lequel je ne me reconnais pas du tout. Ce genre d’écrivain me dégoûte.
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La réponse religieuse : l’Islam
Aminata :
Une des réponses identitaires que vous montrez est celle de l’adhésion à la religion musulmane, qui est trois choses à la fois. Elle peut représenter un point de départ pour construire une communauté. Je vous cite : « Quel autre drapeau pourrait être le leur ? Ils n’ont pas de mémoire ou plutôt mille. Des fragiles témoignages de parents que le travail en usine puis dans les services a massacrés. Ils ont autour du cou des chaînes en or avec, en miniature, le trapèze de l’Algérie, le mali octogone, la forme massive de l’Afrique. Leur besoin d’identité est impossible à rassasier » (pages 45-46).
En deuxième lieu l’Islam peut représenter un point d’arrivée pour des personnes à la recherche d’un abri spirituel solide et englobant, comme le montrent les nombreuses conversions des français au début de ce siècle et le passage de La Question Blanche où le protagoniste, souffrant pour la mort de A., s’exprime ainsi : « Aujourd’hui je me suis agenouillé comme un musulman (…) J’ai joui de faire partie de l’Oumma, d’avoir une identité dure, indiscutable. Ma douleur s’échappait de moi, et tout carnage disparaissait dans l’amour » (page 82).
En troisième lieu on voit que c’est au nom de cette religion que Kamel Barek, dans Supplément commet les attentats imaginaires de l’année 2007 Free games to for pc. Donc l’Islam ne se manifeste pas seulement comme point de départ ou d’arrivée de la « Question Identitaire » mais peut assumer le rôle d’un instrument de lutte socio-religieuse. Cette fonction sera pourtant niée par la population de votre roman car dans le déroulement de l’histoire on va voir que ce n’est pas la réponse que les Arabes de France voulaient face à l’injustice. Kamel Barek, au final, ne sera pas considéré comme un héros mais un ennemi public (page 147).
A votre avis le fait que la religion musulmane prenne une si grande place dans la définition du Soi chez beaucoup de personnes est-il un signal d’un manque de la part de la société française ? Si oui de quoi s’agit-il, d’une carence spirituelle ou d’autre chose ?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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Il y a un besoin de croire, un besoin de sacré que la république française a cru pouvoir assumer pendant longtemps en substituant à un sacré catholique un sacré républicain, un idéal républicain de justice sociale, de progrès etc. et on se rend compte qu’au final cet idéal républicain est un mensonge et il qu’il y a une perfidie…car ce n’était pas vrai quoi ! Donc les gens qui ont besoin de croire – pas tout le monde a besoin de croire- se tournent vers les repères identitaires à leur disposition. Donc l’Islam forcément en est un d’essentiel. Et moi je respecte la foi et la ferveur et la piété religieuse..en France on crache sur l’Islam alors que…enfin, il y a une islamophobie en France que je trouve insupportable et que je ne comprends pas. Et je pense que les gens qui ont peur de l’Islam en fait ne le connaissent pas, car ce n’est pas du tout une religion de guerre, au contraire. L’islamophobie est un vrai mal français, ça me choque. Et donc effectivement la religion ça peut servir à combler un besoin identitaire. C’est sûr. Mais ce n’est pas le seul marqueur identitaire, l’Islam, il y en a d’autres.
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L’injustice sans couleurs
Aminata :
A la fin de La question Blanche on découvre que la personne qui bat, sauvagement, jusqu’à le tuer, son propre chien, est un Antillais. Le protagoniste est étonné car il pensait que c’était un Blanc. Mais non : c’est une personne qui a souffert, peut être, en tant que victime du racisme et qui, à son tour, se défoule vers quelqu’un de plus faible amazon orders. J’ai tout de suite pensé à un passage du livre de Calixthé Beyala Les Honneurs Perdus ou une femme blanche justifie le fait que son homme la tape en disant « c’est un homme de couleur, vous comprenez ? Les choses n’ont pas toujours été faciles pour lui ». La protagoniste de ce roman, considère ses justifications inacceptables et raisonne :
« Pourquoi elle acceptait de se faire taper ? Pourquoi elle ne dénonçait pas son amant noir ? Parce qu’il était noir et donc supérieur ou parce qu’il était noir et donc une sous-espèce d’homme ? » (2003 : 340-341).
Est-ce que le fait que dans La Question Blanche le protagoniste décide de tuer le maître du chien en disant « Je ne regrette rien. J’ai tué un assassin » (page 96) dérive de la même réflexion ? C’est à dire avez-vous voulu sortir d’une vision en noir et blanc de l’oppression ?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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Pour moi La Question Blanche est un roman un peu raté. Donc j’ai du mal à en parler. Je n’arrive pas à me rappeler… Je ne suis pas à l’aise, il est trop obscène. Je ne pourrais pas te dire pourquoi il est antillais et pourquoi il a un chien… Mais bon, la violence personnelle, la violence vers autrui n’est pas justifiable aucunement mais la violence politique et langagière par rapport à des institutions de la société est compréhensible. La violence physique sur autrui n’est pas justifiable, en aucune façon. Mais qu’il puisse y avoir des griefs particuliers, des revendications, des pathologies, un ressentiment public collectif je pense que oui.
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Identité comme source de division
Aminata :
Dans votre écriture vous laissez une grande place au discours identitaire. J’ai remarqué cette attention non seulement dans la Supplément et dans La Question Blanche mais aussi dans votre récit du recueil Chroniques d’une société annoncé (2007) : « Il y a quelque chose d’inouï au royaume du Danemark ». Ici par exemple Félix est exalté par son identité corse et son projet est de rendre la Corse indépendante (page 172), ou encore, le narrateur se plaint d’avoir une identité trop « courte » en tant que « Caïd de la Chapelle » (page 168) et à la fin de son histoire, avant de mourir il dit : « Je n’ai toujours pas fait le tour de mon identité, je l’ai questionnée, jusqu’à ce qu’elle devienne sable » (page 180). Dans le Supplément des phrases pareilles sont éparpillées dans tout le roman, comme celle-ci : « Un juif lit le journal, lové dans une identité sûre » (page 13) herunterladen.
A votre avis les individus ont-ils l’impérieuse nécessité de s’« identifier » dans une communauté?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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Non, mais il y a un vrai besoin identitaire, moi personnellement non, mais je remarque autour de moi qu’il y a un durcissement identitaire…des gens qui revendiquent une identité particulière, qui soulignent tout ce qui pour eux est important..et que je comprends ! Et je pense qu’il y a une obsession d’identité aujourd’hui et qu’on n’est pas encore arrivé à résoudre ce problème..enfin, ce n’est pas un problème, c’est une équation identitaire… je ne sais pas, c’est à la fois mouvement et figé, c’est rassurant et en même temps facteur de division, donc c’est vrai que c’est difficile..C’est une obsession dont j’ai cherché à témoigner dans mes écrits..Sans avoir encore une fois de réponses à apporter. C’est des trucs que j’ai observés, c’est tout. Mais malheureusement je n’ai pas de réponses à apporter, c’est juste ce que je vois autour de moi.
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Aminata :
A la page 32 du Supplément vous écrivez: « Le besoin d’identité fait crever de faim » en vous référant à une France qui fait des discours autour de l’identité officielle et qui par conséquent exclut qui n’en fait pas partie. Quelques pages après (page 36) vous expliquez qu’être sans identité est poursuivi comme un crime et plus tard encore (page 115) vous parlez des contrôles d’identité dans les collèges de Noirs et d’Arabes. Dans tous ces exemples nous avons la nette impression que la loi utilise l’identité et tous ces symboles (aspect physique, papiers) comme outil pour mieux différencier les êtres humains.
Êtes-vous d’accord avec le fait que chaque discours identitaire, même celui qui sert à souder une minorité, contient en soi des potentiels d’exclusion et d’injustice?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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C’est évident. Le seul problème c’est que j’ai l’impression qu’il y a un projet politique public français qui cherche à imposer une identité à chaque français. Une identité forcément laïque, très précise.. à mon avis en France il y a un projet dans lequel les gens ne se reconnaissent pas… Mais les gens sont de toute façon fascinés par l’identité et chacun cherche dans ses origines quelque chose à faire valoir quoi ! Chacun essaie de grimper dans son arbre généalogique pour trouver une identité. Il y a des gens qui ont convoqué des ancêtres ashkénazes pour dire qu’il sont ashkénazes ou ils ont convoqué les ancêtres lointains algériens même si ils ne sont pas algériens. Il y a une espèce de passion, de besoin d’identité. Et des fois je me dis : le français blanc, autochtone, quelle est son identité à lui ? Il dit qu’il est français, est-ce que c’est suffisant ou pas inhalte von netflix herunterladen? Moi je me penche sur la quête identitaire d’un français blanc. Le projet de l’État pour lui est un projet froid. On ne peut pas imposer l’identité d’en haut, verticalement, moi je ne me reconnais pas dans l’idéal du citoyen français laïc, républicain, ça ne me parle pas, j’y crois pas du tout.
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Aminata :
Donc, votre affirmation rentre pleinement dans la question suivante. L’État ne peut pas, vous avez dit, obliger des personnes à adhérer à des caractéristiques identitaire tandis que la personne peut vouloir les rechercher ailleurs, par exemple à travers des arbres généalogiques…en décidant ce dont elle aime se souvenir et ce dont elle n’aime pas se souvenir. Donc voilà qu’on parle d’une identité imposée qui peut se transformer en prison.
Dans Supplément Kamel Barek développe un point de vue assez dur vis à vis des Arabes intégrés. Il les appelle « Fantassin de la République » qui ont laissé brûler leur identité profonde et qui ont bâti à sa place une attitude faite de honte et de peur (page 38). Plus tard dans le roman le fait qu’un footballeur noir chante la Marseillaise est défini ainsi : « La mort d’une identité est quelque chose de grandiose » (page 122). Il y a donc un regard plutôt méprisant envers les personnes qui adoptent les codes culturels des ex colonisateurs tandis que lors de la description du Ramadan, que vous définissez une « Fête identitaire » (page 109) , les liens qui soudent la communauté musulmane semblent représenter un moment positif car ils témoignent le maintien d’une certaine fierté dans un pays étranger et hostile.
Dans l’essai The Claims of Culture : Equality and Diversity in the Global Era (2002) la philosophe et politologue Seyla Benhabib explique que la prospective multiculturelle qui fait confiance au pouvoir d’auto-réglage des groupes est souvent illusoire car l’individu risque de voir sa liberté encore plus contrainte par les règles du groupe identitaire d’appartenance.
Qu’est-ce que vous pensez de la liberté d’un individu de se reconnaître dans plusieurs sources d’inspiration ? Et dans le cas où ses repères n’ont rien en commun avec ses origines ?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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La liberté individuelle c’est le critère, c’est le postulat de départ ! La liberté individuelle c’est le trésor sacré, c’est intangible ! C’est l’individu qui choisit effectivement d’adhérer ou pas à certaines valeurs identitaires, ce n’est pas remis en question quoi. Et l’État doit, entre guillemets, arbitrer les éventuels conflits entre un individu et un groupe particulier, sa communauté. Il y a toujours une instance qui tranche en dernier ressort et qui, pour la liberté individuelle, reste absolue magic the gathering arena. Je ne remets pas en cause la liberté individuelle, ce que je remets en cause c’est simplement le dressage par l’État de ces citoyens. Et je pense qu’en France l’Etat français essaie de dresser ses citoyens pour en faire des citoyens modèles, des patriotes républicains, laïcs… moi je trouve ça sidérant, qu’on ait obligé les joueurs français à chanter la Marseillaise. Ce n’est pas un chant dans lequel je me reconnais, même si je suis français. Ce n’est pas mon chant et moi quand je la chante franchement je baisse le son car ses paroles me dérangent…je le répète, qu’on ait obligé des joueurs de foot à chanter ça c’est délirant et c’est bien symptomatique du projet français d’imposition d’identité à travers un chant dans lequel de moins en moins de personnes se reconnaissent. Donc je dis que ce trésor qui est la liberté individuelle doit se dresser contre les dérives communautaires mais aussi contre les instances qui sont censées le protéger et qui ne le font pas, comme l’Etat par exemple, qui impose cette chanson.
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Origines et politique
Aminata :
J’ai trouvé, dans Supplément un passage très intéressant. Il traite l’actuel rapport entre les ex-colonisateurs et les ex-colonisés en ce qui concerne les mouvements politiques.
A ce propos vous décrivez comment la masse d’exploités immigrés regarde le syndicaliste Yann Guillois : «Elle écoute sans broncher ni contredire. Elle s’ébroue à peine de la gangue coloniale et le blanc sur l’estrade qui gesticule, dérisoire ou petit-bourgeois. Ils n’ont pas suffisamment en commun pour partager la révolte et former ensemble ce peu de pouvoir dont Yann Guillois prendrait la tête » (page 77). On peut lire deux éléments de séparation qui empêchent l’union des forces entre les immigrés et les politiciens français de souche : le premier concerne l’absence d’une culture partagée (à page 111 vous l’expliquerez ainsi : « La culture nationale n’est pas assez forte pour entretenir la communauté des destins ») et le deuxième le fait qu’à nouveau ce serait un « Blanc » à la tête d’un mouvement que malgré ses revendications égalitaires, reproduirait le rapport colonial. On dirait donc que le la demande de justice serait indissociable d’une histoire et d’un passé partagés du même coté. Toutefois, à la fin du roman vous théorisez une guerre civile qui ne se baserait pas sur les origines mais sur les conditions sociales.
Il y a-t-il une contradiction ou vous imaginez un processus de changement auprès des personnes issues de l’immigration vis à vis des politiciens de gauche ?
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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Pour aboutir à une égalité il faudrait que les populations qui se sentent stigmatisées et qui ressentent l’injustice, s’organisent et forment un contre-pouvoir. Voir un pouvoir, une présence dont les chefs doivent être issus de ces rangs là. On le voit aussi chez les Indigènes de la République, une organisation dont les représentants étaient ouvertement d’origine immigrée et qui se revendiquaient comme tels. Ce n’étaient pas des blancs qui parlaient au nom des immigrés. Voilà. C’est extrêmement important d’avoir des leaders qui représentent les populations dont ils parlent herunterladen. Moi je ne suis pas habilité à parler des immigrés ou des français d’origine immigrée. En France maintenant ce que j’observe c’est qu’il y a des voix qui se lèvent, des nouveaux visages, et je suis ravi qu’il y ait des présences pareilles. Mais c’est compliqué.
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Aminata :
Pourtant vos romans expliquent des situations qui pourraient très bien avoir été écrites par une personne issue de l’immigration, même si vous ne l’êtes pas.
Aminata :
Oui mais je pense que c’est quand même dommage… imaginons que j’organise ce concours littéraire mais que je suis française tout court sans avoir d’autres origines…en suivant votre raisonnement peut être qu’il y aurait donc moins de personnes motivées à participer car les gens seraient en train de se dire « Voilà une autre qui organise quelque chose pour nous… sans être elle même issue de l’immigration.. ». Dommage, parce que ça ne veut pas tout dire. C’est le vécu personnel de ce qui est autour de nous le plus important. La couleur de la peau à mon avis n’est pas quelque chose qui justifie une certaine sensibilité.
Réponse de Jean-Eric Boulin |
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Oui je suis d’accord, ça ne veut pas tout dire. En fait à propos de ces questions là je ne sais pas comment y réfléchir, je ne sais pas quelle est la bonne manière de penser. Je ne sais pas exactement comment on se positionne de manière saine et intelligente. Je pense qu’il y a une grande confusion dans mon esprit…
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Aminata :
Moi je pense que le fait que vous avez écrit ces romans de cette façon est la réponse. Même si vous voulez pas théoriser vos choix c’est vos choix qui parlent !
Jean-Eric :
Bien sûr !