Interview de Gaël Faye réalisée par Aminata Aidara
Gaël Faye et moi nous nous rencontrons dans un bar près de métro Parmentier : il…
Gaël Faye et moi nous nous rencontrons dans un bar près de métro Parmentier : il a un bouquin à la main, il est posé, calme et souriant. Et il se livre à une réflexion sincère sur son œuvre et sa philosophie. Nous discutons pendant des heures, même quand le micro est désormais éteint ! Très contente d’avoir fait sa connaissance.
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LA JEUNESSE D’UN FUTUR AUTEUR-COMPOSITEUR-INTERPRÈTE
Quelle langue avez-vous toujours parlée dans votre famille?
Comment pourriez-vous définir votre rapport à la langue française ?
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Ma langue paternelle c’est le français et ma langue maternelle aurait dû être le kinyarwanda mais ma mère, ayant eu une douloureuse histoire avec le Rwanda, a voulu faire de ma sœur et moi des petits Français et elle nous a pas transmis la langue… Donc moi j’ai parlé le français de Bujumbura jusqu’à l’âge de treize ans. C’est un français du pays quoi ! Les gens parlent bien mais on met des petits mots en swahili, des petits mots en kirundi. Donc il y avait des mots que je ne disais jamais en français, par exemple je ne disais jamais « sandale » mais je disais « kamambili ». Voilà ! C’était quand même un français atypique. Du Burundi. Et même dans mes chansons des fois j’essaie des mettre des mots en kirundi, comme on dirait dans le langage commun à Bujumbura. Et oui, je crois que j’avais un petit soupçon d’accent du coin. C’est en arrivant en France que j’ai commencé à parler le français… (rires)
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Académique ?
Pendant votre enfance et votre adolescence est-ce que vous avez été poussé à la lecture par votre famille ? Si oui, quels sont les livres qui ont attiré en premier votre attention ?
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Alors… À la maison il n’y avait pas beaucoup de livres, c’est vrai. En tout cas il n’y avait pas de bibliothèque. Je me souviens de magazines : mon père jouait beaucoup aux mots fléchés, aux mots croisés, des choses comme ça. Je le voyais des fois avec un livre ; il nous lisait un petit peu Le petit prince, à table, je me souviens, avant de manger. Donc c’est ça les souvenirs de lecture que j’ai… Mais moi je n’ai jamais été attiré par la lecture. Et je m’ennuyais beaucoup l’après-midi. La sœur de mon père, qui est française et qui habitait en France, un jour m’a abonné à une collection de livres qui s’appelait « Zanzibar » et donc je recevais des petits romans. Et comme je m’ennuyais vraiment car il n’y avait rien à faire, il n’y avait pas de télé… Ni rien du tout… Ben, j’ai commencé à lire ces romans et ça m’a donné le goût de la lecture. C’était en primaire, j’avais à peu près huit- neuf ans. Alors, je me souviens plus très bien mais je sais qu’il y avait une histoire de deux enfants qui vivaient à Berlin pendant la seconde guerre mondiale defragmentierung kostenlos herunterladen. Ça m’avait beaucoup marqué, ils étaient sous les bombardements… J’aimerais bien retrouver ce roman. Il y avait aussi un autre livre, qui n’était pas dans la collection « Zanzibar » mais qui m’a beaucoup beaucoup marqué. Il s’appelait L’Enfant et la Rivière avec un personnage qui s’appelait Bargabot. Mais au-delà de ça je n’ai pas beaucoup de souvenirs de lecture de quand j’étais au Burundi. C’est après, en arrivant en France, que j’ai commencé à lire. Je suis arrivé en France en fin de cinquième.
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Il y a-t-il eu des professeurs ou des personnes externes à la famille qui ont alimenté votre passion pour la littérature ?
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J’ai eu une prof en troisième qui m’a donné confiance en moi. Elle s’appelait… Madame Boulanger ou un truc pareil. Elle m’a vraiment encouragé, c’est-à-dire que c’était la première fois de ma vie où j’avais des très bonnes notes sur des fiches de lecture. Je me souviens d’un 19 sur une fiche de lecture concernant Albert Camus… Et puis elle me mettait des vrais encouragements sur la feuille : ce n’était pas juste « excellent » ou « bravo » ou « 19 » mais elle mettait, pas exemple, « un excellent goût pour la littérature » ou « tu devrais continuer les études de lettres ». Et puis derrière elle me conseillait des lectures et je pense que ça m’a donné confiance en moi par rapport à l’écriture aussi.
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Comment êtes-vous arrivé à l’écriture ? Depuis quand écrivez-vous ?
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J’écris depuis l’âge de treize ans. J’ai commencé par des petits poèmes. Et après je ne savais pas quoi en faire. A l’époque j’habitais dans les Yvelines et pas loin de chez moi il y avait une maison de quartier, une maison de jeune et donc j’ai commencé à aller là-bas avec un copain qui dansait. Il y avait un atelier de rap. J’ai commencé comme ça… Mes textes au début ça n’allait pas. Je les ai ré-écrits pour que ça fasse des textes de rap. Dans un jeune groupe de là-bas ils cherchaient un rappeur : j’ai passé une audition et je suis rentré dans leur groupe. J’avais à peu près seize ans. Ensuite quand j’écrivais il s’agissait de textes de rap. A côté je continuais avec des petits poèmes, des nouvelles… Des idées de roman que je commence et que je ne termine jamais…
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UNE VIE COMME UN ROMAN ?
Quels sont vos auteurs préférés ? Et il y a-t-il un livre en particulier qui vous a donné envie d’écrire ou qui a guidé en partie votre vie ? Ou des mots qui ont tout simplement changé votre perception des choses ?
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Alors, je ne sais pas si j’ai un auteur préféré, en tout cas je pense que l’auteur qui m’a le plus accompagné c’est René Depestre. C’est le seul auteur duquel je peux dire que j’ai lu tous ses livres, son œuvre. J’aime beaucoup sa manière d’écrire, son univers. C’est un univers nostalgique, très doux, il y a aussi chez lui un érotisme très poétique, et puis il y a aussi de l’engagement. Moi j’aime les artistes engagés, qui ont une vie personnelle qui ressemble à un roman.
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Une vie comme un roman c’est dangereux aussi…
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Oui c’est dangereux mais ça donne un charme aussi : René Depestre était quelqu’un d’engagé, de communiste, qui a créé un journal qui s’appelait « La Ruche » quand il était très jeune zdf doku downloaden. Avec son journal il y a eu des manifestations pour destituer un président haïtien, en suite Depestre a été poursuivi par les services secrets, il s’est réfugié dans plusieurs pays européens, il a été traqué, après il est allé faire la révolution à Cuba, il a été au Brésil, il a eu beaucoup de femmes dans le monde entier… C’est un dandy en plus ! Et j’aime bien son écriture, elle alterne… Alors, il y a des poèmes de René Depestre que je trouve très forts comme Minerai noir c’est un poème qui m’a beaucoup touché. (Gaël Faye récite par cœur le poème !). Dans les allitérations et dans le rythme c’est du rap ! Il y a un autre poème qui s’appelle Patrie enchainée. Ah c’est très beau ! C’est sur l’exil. Ça me fait pleurer quand je lis ça. C’est son pays qui lui parle à lui qui est en train de partir et lui dit « Tu pars, tu pars vers un ailleurs… Méfie-toi du froid, méfie-toi de la morsure de la solitude, sois le meilleur ami de la laine et du feu… ». Vraiment quand je le lisais ça me ramenait beaucoup à moi et à ma vie…
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Vous aussi dans la chanson « A-France » vous employez des comparaisons surprenantes…
Tandis que dans votre chanson c’est vous qui parlez au deux pays, le Burundi et le Rwanda…
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Oui ! Et puis sinon il y a Léon-Gontran Damas que j’aime beaucoup, j’adore surtout son recueil qui s’appelle « Pigments», et aussi « Névralgies ». C’est très beau. D’ailleurs dans un texte de mon album, « Petit pays », j’ai beaucoup pensé à Gontran Damas en l’écrivant. Il termine sa poésie par une phrase que j’ai mise dans la chanson où il dit : « Citez m’en un seul de rêve qui soit allé jusqu’au bout du sien propre ». Je trouve que cette phrase résume la vie des êtres humains. Il n’y a pas de rêve qui soit allé au bout du concept de rêve.
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Ah ok c’est magnifique : car si le rêve arrive au bout il cesse d’être un rêve en fait !
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Après il faut dire, je me méfie des gens qui ne lisent que de la littérature antillaise ou africaine… Il y a aussi beaucoup d’auteurs français qui m’ont touché. Jacques Prévert, René Char, Bukowski aussi, même si c’est plus trash et ça me ressemble un peu moins car il est plus cru. Moi j’aime bien quand même quand il y a une sorte de retenue, une certaine pudeur dans l’écriture : je pense que ça vient aussi de la mentalité burundaise et rwandaise, qui est une mentalité pudique où on ne dit pas les choses de manière crue, mais un peu détournée. J’aime bien la littérature qui est comme ça.
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Par rapport à la réflexion que vous venez de faire sur les auteurs antillais ou africains… Moi ça m’arrive souvent de citer que des auteurs femmes et j’ai remarqué que dans votre liste vous n’avez cité que des hommes. On dirait que chacun de nous cherche à se retrouver…
L’ÉCRITURE COMME AUTO-THÉRAPIE
Il y a des extraits de vos textes qui m’ont donné envie de vous poser des questions… Quand dans la chanson « A-France » vous écrivez « Et puis il y a eu Paris, maintenant j’l’appelle Panam/ La pollution, les épiciers berbères et leurs mauvaises bananes/Ici c’est grecs, mac do, la pluie, le froid, les flaques d’eau/ Métro boulot dodo, la place Vendôme et les clodos/ Mais j’m’habitue, j’aime mes baskets et mon bitume (…) Je suis solitaire et des fois je sors la plume »
ça veut peut-être dire que depuis que vous êtes en France l’écriture est devenue comme une sorte de maison ?
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Ouais quand même. Je ne sais pas comment mon trop plein de colère, de tendresse et d’amour allait faire s’il n’y avait pas eu l’écriture, je ne vois pas comment j’arriverais à être quelqu’un de normal, d’équilibré. Je pense que je serais un mec bizarre. J’ai du mal à parler au gens, je ne sais pas comment m’exprimer, j’ai l’impression qu’on ne me comprend jamais quand j’essaie de m’expliquer. Les gens peuvent avoir l’impression que je me plains souvent. Mais c’est ça : je me plains souvent. Parce que je n’aime pas les choses telles qu’elles sont tuneup 2008 kostenlos downloaden. Et quand j’étais par exemple dans mon bureau à Londres je me plaignais toujours auprès de mes collègues. Je disais : « C’est quand même nul ce qu’on vit, c’est une vie pourrie. On arrive, on a toujours la même journée… » Et puis les gens me regardaient : « Mais tu ne te rends pas compte là, tu gagnes plein d’argent, t’as de la chance, il y a des gens qui sont au chômage », mais je continuais quand même car pour moi se plaindre ça te met en face de toi-même aussi: si tu te plains indéfiniment et que tu n’agis pas c’est sûr que les gens disent : « Bah, t’es un rabat-joie, t’es quelqu’un d’aigri ». Moi de me plaindre ça me permet de me mettre en face de mon miroir et de me dire : « Ok, écoute, là ça ne te va pas, maintenant sois quelqu’un et fais en sorte que ce pourquoi tu te plains change, donc change la situation ». Mais mes chansons sont aussi une forme de plainte, de complainte, de coup de gueule. Heureusement qu’il y a l’écriture. Je ne sais pas comment je ferais… Je dis que je soigne mes névroses en métrique!
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C’est bien ça ! Et pensez-vous continuer toujours à écrire ? Si oui à part les chansons, envisagez-vous des nouvelles, des romans ou les deux…?
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Je me suis posé la question : est-ce que j’allais continuer à écrire après avoir fait « Pili Pili sur un croissant au beurre. » Parce que j’ai eu l’impression d’être allé déterrer tellement de choses… D’ailleurs j’ai écrit un texte que je mettrai en ligne, je viens de l’enregistrer… « Je cherche le miracle, mais je ne trouve que du trivial,/ Je cherche mon oracle, mais je n’ai trouvé qu’un rival./ Paraphraser son cœur c’est le foutre dans l’étau/ Si le cœur est le moteur il y a de la fumée sous le capot/ A vivre sous l’orage je ne sais que faire de l’azur/Une fois cicatrisé devrais-je faire pousser des blessures/ Si je vide mon sac j’irai taper dans le vent/ Et comme l’arbre dans la plaine je repousserai obstinément/ Ecrire des textes, c’est enterrer des cadavres/ Difficile vu le contexte comme la Palestine sur le cadastre/ J’veux pas tourner la page, non, je referme le livre/ Eduquer ma rage, lui enseigner à devenir libre/ J’reprends du service, je vais chauffer la feuille blanche/ Ouvrir de nouvelles pistes, affûter mon éloquence/ Je reprends du début, je déconstruis, je désapprends/ Les phrases pour le moment sont cachées dans ma tête, je les attends… ». Histoire de dire après dix ans que je sors des textes… C’est comme le baby blues pour la femme qui a son enfant dans le ventre, et puis une fois qu’il n’est plus là elle se sent vide. Moi j’ai cette sensation, j’ai tout dit et il faudra peut être m’arrêter.
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Vous utilisez des métaphores que je n’ai jamais entendues. Où vous allez les chercher ?
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C’est surtout des phrases qui traversent des moments difficiles, quand ces moments difficiles deviennent ta norme à toi avec tous les questionnements identitaires de l’exil… Si tout ça disparaît finalement, qu’est-ce que je vais faire avec une vie normale, tu vois ? (rires) une vie sans questionnements ! C’est étrange ! Quelque part c’est comme si on veut revendiquer nos blessures, ce n’est pas normal ! Des fois j’ai l’impression quand même, qu’être artiste c’est comme si t’étais un malade qui se soigne lui-même. Qui ne va pas chez le psy et tout.
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A travers les textes de vos chansons vous avez voulu revendiquer quelque chose ou tout simplement raconter une histoire ? Ou les deux choses à la fois ?
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Je voulais revendiquer parce que j’étais très révolté car en arrivant en France quand je disais : j’arrive d’un coin du monde qui s’appelle Burundi ou Rwanda je voyais que les gens non seulement ne le connaissaient pas mais en plus ils s’en foutaient complètement. Il y a quelque chose que moi j’accepte, c’est l’ignorance, parce que on est tous ignorants de plein de choses, mais l’indifférence m’énerve énormément. Et je pense que cet album c’est une manière de revendiquer : « On existe, vous n’oubliez pas » pour ça il y a aussi le drapeau burundais sur la pochette de l’album et je suis content quand on l’affiche en grand dans le métro. On est là quoi, on existe, on revendique. Bien sûr c’est une histoire personnelle, ce n’est pas pour cristalliser nos positions, au contraire, mais c’est un album, comme le titre l’indique, qui veut parler de mélange outlook 2016 bilder automatisch herunterladen gpo.
J’ai un texte qui s’appelle « TV » que je vais sortir bientôt, où je parle de mon rapport à la télé, c’est-à-dire ce rapport de domination (Gaël Faye récite son texte !). C’est une manière de s’affirmer. Il s’agit d’une histoire mais en même temps moi j’arrive avec mon sac de rimes et je vous le balance dans la tronche. Alors vous vous nous envoyez vos sacs de riz et nous on vous envoie nos sacs de rimes pour vous répondre. Quand on est bien tranquilles dans nos pays et ben, vos décisions à vous ont quand même une influence sur nous. Nous sommes peut être indépendants, en Afrique, mais nous ne sommes pas souverains. C’est ça qui fait mal ! C’est comme si nos destinées ne nous appartenaient pas vraiment. Toujours… Soit il y a une compagnie pétrolière qui traîne pas loin, soit il y a les Chinois, les Américains, les Français… Tu vois ? Afrique, Quand est-ce que t’auras les rênes en main et tu décideras de ton destin ?
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LE RAPPORT À L’AFRIQUE
Dans la chanson « Président » on dirait qu’à la mort du père, le dictateur, la population ne sait pas quoi faire sans son paternalisme. Pensez-vous que cette attitude est due au fait que beaucoup de pays africains ont gardé une mentalité coloniale (dans le sens où le président, les politiciens et l’armée sont en quelque sorte des occupants et le peuple est le sujet) ? Ou il s’agit de l’histoire traditionnelle qui a toujours entretenu ce rapport entre chef et peuple ?
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C’est juste que quand on a un dictateur qui est resté trop longtemps les gens ne sont plus des citoyens mais ils sont juste des sujets. Les gens n’ont pas d’alternative face à ce guide, ils oublient qu’ils peuvent avoir un avis, que c’est eux qui devraient être les maîtres de leur destin. Pour ça je dis : « Quand le père meurt, le peuple pleure » car on pleure même celui qui nous a fait du mal si on ne connaît rien d’autre. En fait on nous a mis dans un système où on nous a obligés à ne plus penser. Quand j’ai écrit ce couplet-là je pensais fortement au Rwanda. A partir du moment où on a tué Habyarimana en 94 le peuple a perdu son dictateur qui était au pouvoir depuis 73, on a désigné des ennemis en disant « Vas-y, s’il est mort c’est à cause d’eux » et les gens, comme ils avaient été conditionnés pendant des années à l’ennemi de l’intérieur, ils sont allés les massacrer : c’est le génocide. Mais si tu veux par rapport à ce sujet j’ai écrit un autre texte concernant ce qui s’est passé en 2004 en Côte d’Ivoire et c’est la même chose qu’au Rwanda. Des histoires qui se répètent, des schémas qui sont semblables… Au Togo aussi par exemple. Et ça prouve bien qu’un dictateur qui reste trop longtemps fait en sorte que le peuple ne se rend même plus compte qu’il s’agit d’un dictateur mais qu’il le voit comme un père, un guide. Mobutu c’est grave ce qu’il a fait au Congo. Malgré ça tu vois des Congolais qui le pleurent et qui disent que c’était un bon président. Mais ce n’était pas un président, c’était un dictateur !
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Dans « Petit pays » vous écrivez : « Petit bout d’Afrique perché en altitude/ Je doute de mes amours, tu resteras ma certitude ». Quand vous parlez de l’amour pour votre terre d’origine vous parlez d’un amour pour le pays au niveau géographique, par exemple les paysages, pour sa population ou les deux download category c for free?
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Dans ce couplet là je parle au Rwanda. Ma mère y est née en 59 et elle a quitté le pays en 62 car elle est Tutsi et qu’on massacrait les Tutsis à cette époque, donc elle a été refugiée au Burundi. Il y a eu beaucoup de rwandais tutsis qui se sont exilés. Ils ont vécu en tant que refugiés dans des camps pendant des années et en 90 ils ont pris les armes pour récupérer le Rwanda parce qu’on n’acceptait pas leur retour. Quand ils tentaient de revenir au Rwanda on les rejetait. C’est pour ça qu’ils ont décidé de reprendre le pays par les armes. Et pour moi le Rwanda c’est un pays idéalisé, une terre promise. Ce n’est pas le drapeau, ce n’est pas comme si je chantais la marseillaise ou je chantais l’hymne national du Rwanda. C’est l’endroit ou l’on a envie de vivre en paix, où on a envie de vivre chez nous. Voilà ce qu’il représente dans ma tête le Rwanda. C’est pour ça que je parle ainsi dans la chanson. Moi j’étais trop jeune quand il y a eu la guerre, mais mes oncles et cousins sont partis au combat. Enfin, j’aurais pu, j’avais douze ans et il y en avait qui avaient douze ans quand ils sont partis, mais j’étais dans une situation familiale qui a fait que ce n’était pas possible, même si je sais que j’en avais envie. Moi mon combat je le dis : « si demain on nous rejette du Rwanda je t’offrirai ma vie, et je te l’offre déjà avec ma musique ». C’est l’amour symbolique pour la terre promise, là où on est bien, chez nous et on nous massacre pas, on nous tue pas. Là où on est en paix avec les nôtres.
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Dans « A-France » vous chantez : « Des fois je me demande si j’ai un devoir envers l’Afrique/ J’pourrais fermer les yeux, une femme des gosses et garder mon fric / Problème existentiel de nos délires névrotiques ». A ce propos j’ai trois questions :
1) Comment expliquerez-vous votre sensation d’avoir un devoir envers l’Afrique ?
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Je pense que j’ai le complexe de tous les immigrés, dans mon cas de l’immigré africain… On a toujours le mythe du retour au pays, d’aller aider ceux qui sont là-bas, et puis c’est marrant parce que ça saute des générations… Moi je rencontre des jeunes qui n’ont jamais vécu là-bas mais qui disent : « ah je retournerai aider le pays… » Tu vois ? On se rend compte qu’on a un devoir. Ou il y a des gens qui s’en foutent complètement. Ma mère, elle est comme ça. Elle est rwandaise mais elle ne se dit pas « tiens il faut que j’y retourne.. ; » mais moi j’avoue je suis comme ça, pour ça il y a cette phrase dans la chanson. Je ne pourrais pas vivre ma vie comme ça en me disant : peu importe ce qui se passe au Burundi ou au Rwanda, ce n’est pas mon problème, moi ma vie est là…
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2) Quand vous parlez des « délires de névrotiques » vous vous référez à la jeunesse africaine qui a quitté le pays, les jeunes comme vous par exemple ?
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Oui c’est toujours cette idée. Quand on était dans l’avion qui nous amenait en France et qu’on quittait le pays parce que il y avait la guerre, avec les copains on disait « On va revenir au Burundi, là on part juste piller les études.. .» On le disait comme si on était en train d’aller faire une razzia… Genre on y va, on vole les diplômes et on repart… Et puis finalement on vient ici, on fait des études, on s’installe ici et on ne repart jamais. C’est pour ça je dis qu’on gâche nos vies et que l’Europe devienne un cocon. Ce n’est pas vraiment un jugement en fait. Individuellement chacun a le droit de faire ce qu’il veut. C’est collectivement que c’est un échec. C’est-à-dire que les gens qui partent et qui ne reviennent pas… Moi je peux comprendre car individuellement chacun a ses raisons, ses amours, sa vie ailleurs… Mais le problème c’est que tout le monde dit qu’il part pour revenir et personne ne revient. Donc le pays n’avance pas ! Finalement on reste ici et on attend que d’autres fassent le travail qu’on aurait dû faire mais qu’on n’a pas fait.
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3) J’ai pensé à une phrase entendue lors d’une conférence par le président d’une grande association : « Nous les Africains nous sommes tous des malades mentaux » dream league soccer logo herunterladen. Cette phrase a choqué une partie de la salle. J’ai pensé qu’il voulait dire que pour qui avait des origines africaines le rapport avec l’Occident était tellement compliqué que c’était difficile de trouver sa place ici comme au pays originaire. Qu’en pensez-vous ?
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Moi je suis d’accord. Généraliser sur l’Afrique c’est compliqué, chaque pays a son histoire, mais simplement je me rends compte qu’être rwandais ou être burundais c’est difficile parce que la colonisation a imposé un model, a crée des ethnies, on a fait des guerres qui se sont basées sur rien, sur une invention coloniale, parce que hutus et tutsis c’est les colons belges qui ont amené ça et on s’est entre-tués à cause de ça. Aujourd’hui on essaye de trouver une voie de sortie par le développement économique. Et encore une fois c’est un développement économique souvent avec une aide extérieure. Donc vraiment pour être soi, pleinement, c’est presque une mission impossible dans cette époque mondialisée, ultra concurrentielle… Il y a plein d’éléments qui font que je trouve qu’on est forcément dans des contradictions qui nous poussent à avoir des comportements névrotiques.
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Et j’ai aussi pensé que les gens qui viennent ici de pays anciennement colonisés par la France n’ont pas me le même ressenti par rapport à des immigré russes ou sud-américains…
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Oui, c’est parce que il y a aussi le complexe d’infériorité qui est très fort. On voit bien qu’on se réfère toujours à des modèles qui ne sont pas les nôtres, mais qui sont de l’Occident. Rien qu’à voir dans le système économique, culturellement, ce qui est importé est souvent plus présent de ce qui est sur place. On ne met pas en avant notre propre culture, notre propre identité. Quand je dis « on » je veux dire Burundi et Rwanda. Moi je vois, ne serait-ce que dans mon historie familiale, on n’a pas voulu m’apprendre le kinyarwanda et on a prétexté même à l’intérieur de ma famille maternelle, le fait que le kinyarwanda n’était pas une langue importante, que le français l’était plus, donc on a intégré un rapport de domination et ce qu’il y a de grave c’est qu’on a un complexe d’infériorité mais on s’en rend même pas compte. Et c’est pour ça que moi je suis d’accord avec cette analyse qui utilise le terme « malades mentaux » ; c’est peut être fort comme mot mais c’est bien des fois d’employer des mots qui font réagir. C’est sûr en tout cas qu’il y a des questionnements qui sont très fort et qui ne permets pas d’être sûrs de soi, de s’affirmer pleinement dans son identité et d’aller vers l’autre sereinement.
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En écoutant vos chansons je me suis demandée si entre le devoir de mémoire à propos du pays (Burundi ou Rwanda) et la vie projetée vers le futur il n’y avait pas plusieurs phrases contradictoires. J’ai imaginé qu’il s’agit d’un sujet qui vous travaille encore intérieurement. J’ai eu l’impression que vous n’avez pas fait un véritable choix. Par exemple, dans la chanson « Petit pays » on lit: « Petit pays, te faire sourire sera ma rédemption/ Je t’offrirais ma vie à commencer par cette chanson » et donc j’avais cru, en confrontant ces phrases à celle qu’on vient de citer de « Slowoperation », que c’est comme si vous n’en pouviez plus de vous torturer pour décider une bonne fois si parler tout le temps de votre pays originaire ou « vous barrer » et perfectionner votre art mais dans une quête plutôt individuelle que collective.
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« Slowoperation » c’est un morceau que j’ai écrit à un moment de ma vie qui était très bizarre. J’avais fait cinq ans d’études, de finance, quelque chose qui ne m’intéressait pas, où pourtant je gagnais bien ma vie. Je travaillais depuis deux ans dans l’investissement à Londres, mais j’avais envie de devenir artiste. D’ailleurs pour moi le terme artiste c’est pica flore, l’oiseau colibri. Changer les choses, un métier nouveau… Et c’est pour ça que « Slowoperation » c’est la lente opération de passage de pianiste sur un clavier qwerty à artiste. Pendant longtemps en tant qu’étudiant j’ai voulu me gargariser de ma vie d’adulte, être dans les jet lag, mais moi et mes congénères on se trompait ; donc dans la chanson je dis que je les laisse à leur chimères, trouver de la gloire, du pouvoir, de l’argent, mais je veux quitter ce monde-là pour tenter ma chance avec la musique, avec les mots et ce que j’ai en moi. Moi quand ça va paraître bizarre et peut-être personne va le comprendre mais moi quand j’ai fait des études de finances et tout ça, c’était bien sûr pour bien gagner ma vie mais il y avait aussi derrière une idée un peu militante de me dire : je vais retourner au pays et monter des entreprises… Le mec à coté de la plaque quoi. Mais tout ça ne me correspond pas. Ne crois pas, moi j’ai plein de copain qui pense comme ça, de rentrer au pays et monter une banque… Très bien, mais moi ça ne me correspondait pas du tout herunterladen der office 2019-installationsdateien. Il y avait toujours une envie guerrière d’être militant, de changer les choses, et ce que je dis c’est pardonnez-moi de finalement n’être pas allé au bout de cette idée là, mais si j’avais pu j’aurais acheter de l’héroïsme. Je ne l’ai pas mais s’il pouvait se vendre je l’aurais acheté, il n’y a pas de soucis. Je reste convaincu de ça sauf que quelque part j’abdique et le seul combat que j’ai c’est à travers ma musique. Alors mon perfectionnement de l’art, au final, pour moi c’est quand même une arme, à une petite échelle à moi. Et puis je le vois, au Burundi et Rwanda, quand j’y suis allé pour mes concerts, il y a des gens qui m’ont dit que mes textes ça les aident dans la vie et je sais à quel point une chanson peut sauver, peut aider à s’orienter. Moi-même j’ai été marqué par des chansons qui m’ont permis de prendre des décisions, donc des chansons décisives. Quand Jaques Brel dit : « Le monde sommeille par manque d’imprudence », eh ben, je me répétais cette phrase tous les jours tous les jours quand je travaillais et je pense que cette phrase a été une clé aussi pour oser, pour essayer … Il n’y aurait pas eu cette phrase peut-être que je serais encore dans mon bureau !
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L’ART COMME INSTRUMENT DE RÉSISTANCE ?
Dans votre chanson « Charivari » on lit : « J’ai décrété que l’opprimé serait sujet, que je traiterai/ Que je prêterai ma voix aux crève-la dalle et traîne-savates/ Mais au train où ça va, faut les crever tous les porte-cravates/ Car ce monde qu’ils nous réservent c’est de l’argent, c’est du pouvoir/ Ne peuvent plus voir et ces messieurs nous emmènent tous vers un trou noir ».
Pensez-vous que votre voix et vos mots peuvent devenir des instruments de résistance anticapitaliste ?
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Mais non parce que… On a des armes dérisoires. La voix, la poésie, l’art ce sont des armes dérisoires face à la machine libérale ou néolibérale. Moi je pense que l’art ça a un seul objectif et c’est d’être un premier pas vers des résistances constructives, par l’éveil de la conscience. Dire des choses aux gens quand ils n’ont peut être pas conscience… L’art m’a ouvert les yeux comme ça. Et puis faire en sorte aussi que l’art puisse rassembler des gens autours d’une idée. A un concert… une exposition… à un moment donné les gens qui sont là discutent, il y a des débats, des échanges. Notre système voudrait qu’on soit chacun dans son coin, l’individualisme quoi… Alors je pense que c’est toujours compliqué de parler de ça parce que ce qu’on fait : l’art, la poésie et tout, fait partie aussi du monde du spectacle. Et donc c’est récupéré. C’est difficile, c’est contradictoire. Nous en tant qu’artistes on est le produit ultime, je pense, du système capitaliste. On travaille à notre compte, pour notre marque, moi en tant que Gaël Faye ou Milk Coffee Sugar, donc je parle de ma marque, je la vante, donc déjà on devient, nous, un produit. Ensuite la manière dont je vis… Je gagne ma vie grâce à des CDD très courts : mes concerts. Des CDD de contrats de douze heures. Donc finalement c’est exactement ce que veut le système. Il ne veut pas fixer les gens. Il veut que tout le monde soit précaire, comme un artiste : précaire, auto-entrepreneur, donc c’est difficile, vraiment, de dénoncer quelque chose et en même temps être le produit ultime de ce que tu dénonces. Mais comment être en dehors du système quand le système c’est tout ? Après il y a quelque chose qui est possible et c’est créer des espaces dans lesquels le système n’entre pas. Alors nous on essaie de le faire avec des petits nouveaux, de temps en temps, mais c’est difficile car il y a la vie qui fait qu’il faut monter des projets, il faut être financés, ou s’autofinancer… Donc tu ne peux pas être en dehors de la machine système totalement. Quand on est partis au Burundi et Rwanda on a proposé des concerts gratuits : on essaie de faire ça quand on peut… Mais ça reste dérisoire, ça reste rien du tout herunterladen. La machine est très forte, alors on se rassure en se disant que peut-être qu’on éveille des consciences et que les consciences éveillées feront des êtres résistants qui n’acceptent pas tout en bloc, comme nous-mêmes on a été éveillés par d’autres artistes. Je n’ai pas encore trouvé la solution. Je pense qu’il faut juste être conscients de ce qu’on est, de ce qu’on représente et surtout n’être pas dans une posture d’artiste engagé. Moi ça m’énerve de plus en plus les artistes qui se disent « engagés », « anti-tout » parce qu’à partir du moment où t’existes en tant qu’artiste et que les gens te connaissent, c’est que tu participes de la société du spectacle qui se rit bien de toi. C’est d’ailleurs ce que je dis dans « Slowopération » : « Le système nous avale/ Il nous recrache en ronds de fumée, épais cigare de la Havane ». « Slowoperation » c’est le texte peut-être le plus pessimiste de l’album, parce que je termine, comme je disais, sur une désertion… Je dis que les gens cherchent la gloire, le pouvoir « Mais laissez-moi que je me barre, je veux juste perfectionner mon art/ Certains appelleront ça lâcheté ou égoïsme/ Je le répète, si je pouvais, j’achèterais de l’héroïsme ».
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Dans « Qwerty » on lit : « Parce que lui depuis tout petit il voulait faire du hors piste/ Il avait toujours rêvé de mener la vie d’artiste ».
Pendant votre enfance quelqu’un vous a donné envie de mener une vie d’artiste, une vie hors-schéma ?
Ah ok je croyais que c’était un souhait enfantin que vous avez caché pour qu’il ne ressorte pas…
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Non non, jamais. Et puis d’ailleurs, ce que je fais aujourd’hui, souvent on l’appelle « carrière » mais pour moi ce n’est pas une carrière. J’écris des textes, pour l’instant ça plaît un peu, il y a des gens qui viennent aux concerts, ça marche… Enfin, je veux dire, j’arrive à payer mon loyer avec ça mais je ne m’inscris pas dans le long terme. Si demain je n’ai plus rien à dire j’arrêterai et je ferai autre chose. Ce n’est pas un métier pour moi. C’est peut-être un métier ce qu’il y a à coté, c’est-à-dire que pour arriver à faire un concert il faut travailler avec des gens, il faut payer des salaires, il faut faire la promo… Tout ça c’est des métiers. Mais écrire un texte, le chanter, l’enregistrer, ce n’est pas un métier pour moi. C’est une envie, un besoin que j’ai. J’y prends du plaisir, de l’intérêt, j’ai de la conviction. Si demain je n’ai pas ça j’arrêterai, je ne m’accrocherai jamais à ça. La vie d’artiste je m’en fous de ça moi ! Tout le monde est artiste : on est artiste même quand on fait autre chose. Des gens qui travaillent dans des banques sont des artistes parce qu’ils sont toujours entrain de rêver, de créer. Artiste ce n’est pas parce qu’on paie son loyer avec son art qu’on est artiste ! Ça n’a rien à voir.
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LA PARENTHÈSE LONDONIENNE
Quand, toujours dans Slowopération vous écrivez « On se dandinait comme des dandys, on se voulait fluide et nomade/ On rêvait tous de jet lag et de s’extraire de la vie normale » vous vous referez aux jeunes exilés comme vous ou simplement à une génération ?
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Non, là je parle des jeunes qui étaient dans mon école de commerce, que ça soit en France ou en Angleterre download the complete html page. C’est la jeunesse qui fait des études de finance, d’économie et de Science Po… On a envie d’être mondialisés, de parler cinq langues, de passer quatre ans à Shanghai, un an à Moscou… Tu vois, c’est cette ambiance-là dans laquelle moi j’étais. Je travaillais beaucoup quand j’étais à Londres. On gagnait des bonus en tant que boite de finance. Ça veut dire qu’on te donne beaucoup d’argent à un moment de l’année, pour te remercie de toutes les heures que tu passes devant ton ordinateur. Et nous on avait l’habitude, quand on était à Londres, d’aller dans un bar où il y avait le tableau de Che Guevara et de Cassius Clay, enfin, Mohamed Ali. Et moi j’en avais marre de cette vie et on a décidé d’aller en vacance à Shanghai, on avait plein d’argent etc. On descend de l’avion, on va dans un bar, on s’assoit et dans ce bar il y a avait le même tableau de Che Guevara et de Cassius Clay. Pareil. On s’est dit « On tourne comme des poissons dans un bocal ». C’est comme si tu ne pouvais pas t’extraire. Et donc il faut déserter. Sauter du bocal. Il faut aller ailleurs. Après cet épisode j’ai dit au revoir à mes congénères, aux gens que je côtoyais, dont l’ambition était d’acheter une belle voiture, une belle maison, avoir une jolie femme blonde qui fait de la gymnastique et j’ai décidé d’aller ailleurs. Mais cette chanson n’a rien à voir avec le Burundi et le Rwanda !
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LES MÉTIS
Croyez-vous en l’existence d’un troisième espace culturel pour ce qui concerne les jeunes issus de l’immigration ?
Oui… Comme s’il y avait un espace concernant la culture parentale, un espace concernant la culture française et le troisième espace c’est le mélange de ces deux réalités pour arriver à vivre dans les deux ambiances. Il y a un moment ou vous avez écrit : « J’ai le cul entre deux chaises… j’ai décidé de m’asseoir par terre ». Ce par terre pourrait être votre troisième espace.
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Ouais… Je ne l’ai jamais conceptualisé mais pourquoi pas ? Mes parents m’ont expliqué le métissage en me disant : « Tu es cinquante-cinquante ». Tu es rwandais et tu es français. Sauf que quand j’ai traversé une crise identitaire, étant adolescent, j’avais tendance à devenir caméléon, c’est-à-dire à jouer le blanc quand il fallait être blanc, à être noir quand il fallait être noir, et donc je devenais ambivalent. Et moi mon troisième espace, comme tu l’appelles, c’est de dire que je suis cent pour cent de tout ce qui me constitue. L’idée est bête, c’est-à-dire que tout le monde est cent pour cent de ce qui le constitue, mais souvent nous les métis on a l’impression qu’il faut séparer les choses. Alors que les choses sont mélangées et imbriquées de telle manière que tu ne peux pas enlever ceci sans en même temps enlever cela… Tout va ensemble !
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Il y a des phrases qui m’ont fait réfléchir. Dans la chanson « Je pars » à un moment vous dites : « Ici on m’appelle ‘Négro’, y’a pas d’place pour nos peaux mates » et ensuite dans « Métis » : « Ni blanc ni noir, j’étais en recherche chromatique/ Mais le métis n’a pas de place dans ce monde dichotomique/ Donc c’est dit c’est dit, je suis noir dans ce pays,/ C’est pas moi qui l’ai voulu, je l’ai vu dans le regard d’autrui,/ C’est comme ça, laisse-les chanter nos mélanges de couleurs/ Laisse parler de la « diversité » et d’la France Black Blanc Beur, donc/ On serait tous métis, le reste c’est d’la bêtise…/ Voilà que j’ironise sur c’que les artisans de la paix disent ! ». J’ai pensé qu’aux Etats Unis les personnes qui ont du « sang noir » même si c’est de la part d’un seul grand parent sont considérées noires et il n’y a pas vraiment eu de pensée spéculaire. Comme si la couleur à rejoindre était le blanc.
Mais vous ne trouvez pas que plus souvent nous sommes ramenés à la composante noire plutôt qu’à celle blanche ?
Ah ok… Car moi au Sénégal j’ai remarqué que les membres de ma famille me répètent souvent « rappelle-toi que tu es noire »…
Oui…
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En fait ta famille est fière de toi, elle veut que tu sois de son coté ( rire). D’ailleurs elle se trompe en disant ça. Elle devrait te dire « N’oublie pas que tu es métisse » « Oublie pas que tu as un tout et donc fais en sorte d’être ce tout ». Ils te le disent avec amour et avec tendresse mais ce n’est pas honnête de dire ça, car tu es aussi blanche que noire. Moi ça m’a choqué et ça me choque toujours d’entendre les journaux appeler Obama « Le premier président Noir des Etats Unis ». Excusez-moi mais il est autant blanc que noir, donc c’est le premier président Métis !
En tout cas ce dont tu parles concernant les Etats-Unis est lié à leur histoire et c’est pareil du discours qu’on retrouve aux Antilles Françaises, où « quarteron » ça veut dire un quart de sang blanc. Et pourquoi là-bas on ne dirait pas quarteron pour indiquer ceux qui ont un quart de sang noir ? Ça veut dire que ce qui est important c’est le quart blanc, et pas les 3/4 noirs qui restent. Donc tout est en rapport à la situation politique, économique, sociale…
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Merci beaucoup Gaël !