Interview de Thomté Ryam réalisée par Aminata Aidara


Thomté Ryam et moi nous nous rencontrons dans un bar du quartier de Parmentier où à chaque seconde le serveur nous invite à consommer quelque chose! Alala, on change de bar et on se retrouve dans un coin où il y a la musique à fond. On change encore et finalement on peut parler calmement de sujet tout sauf calmes et posés! Bonne lecture!

LE POUVOIR POLITIQUE

Dans En attendant que le bus explose, le Maire, comme d’autres personnes qui ont un rôle dans la vie politique du pays, ne prendra pas le bus et échappera donc au massacre.

Est-ce une allégorie qui signifie que les acteurs des sphères du pouvoir échappent à la confrontation avec le malaise social et qu’ils parlent souvent sans connaître le sujet dont ils sont sensé(e)s être les portes parole ?

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Dans le même roman, à la page 40 on retrouve un discours très amer concernant le monde politique : « L’honnêteté de leurs slogans est faible et surtout, ils ne veulent rien dire. Ils ont tous les mêmes têtes de chien galeux, les candidats de la démocratie blanche et bourgeoise, commencée dans leurs grandes écoles là où ils ont appris à s’amuser avec les mots, à comprendre les mécanismes du monde, comment il fonctionne, veulent changer les choses ? Ça se trouve, ils y ont pensé un soir quand ils étaient plus jeunes. » En plus, quand Bonheur décide de se lancer en politique pour représenter son arrondissement il le fait avec le nom « le cinquième clown ». Sans parler du fait que, dans Banlieue Noire, les jeunes personnages perçoivent leur délits ainsi, page 96 : « Nous sommes aussi vicieux que ceux qui nous dirigent, sauf que nous, nous sommes dans la rue, et que tout le monde nous voit… ».

Avez-vous cette vision négative juste pour ce qui concerne la politique française ou vous pensez que dans n’importe quel pays il se reproduit le même processus une fois que l’être humain acquiert le pouvoir ?

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Mais imaginons qu’une personne provenant d’une catégorie défavorisée arrive à rentrer dans les mécanismes du pouvoir : est-ce que vous pensez que cette personne va reproduire les mêmes mécanismes critiqués auparavant ?

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Entre la page 58 et la page 59, dans Banlieue Noire, vous décrivez des bars où « les anciens détruisent leur RMI et leur foie, parlent football, refont le monde, se font des films à cinquante ans ». Le protagoniste enchaîne en disant : « J’ai envie de demander à ces vieux poivrots ce qu’ils comptent faire quand ils seront grands. Zader, le communiste lit l’Humanité, et après cinq verres, il débitera son message sur le partage et la solidarité. Quand je vois les risques que les jeunes prennent pour l’argent, je pense pas qu’après ils veuillent le partager ».

Pensez vous donc que les propos des gens de gauche sont décalés par rapport aux aspirations quotidiennes des jeunes d’aujourd’hui?

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VIVRE DANS  LE SYSTÈME

Dans En attendant que le bus explose vous introduisez des personnages qui sont le miroir du vide existentiel : Maxou, ancien VRP, et Anastacia, ancienne coiffeuse.  Ils sont en train de se préparer à la finale de l’émission « À la recherche du nouveau couple » et « ils passent leurs journées chez l’esthéticienne, en sale de remise en forme, au cours de salsa et jouent au Trivial Pursuit pour accroître leurs connaissances (…) On en demande beaucoup aux candidats : être stupide et avoir le feu aux fesses bien sûr, mais aussi être glamour et sexy, se connaître parfaitement, faire preuve d’une bonne culture générale » ikea family map. Ce couple vit chez la famille de Maxou, la même où vitune petite fille, Elsa, dont quasiment personne ne s’occupe et Bonheur, un autre des personnages principaux de l’histoire. Tout le monde épargne de l’argent et vit à l’intérieur du système en attendant de percer à travers les moyens et les routes déjà tracés. Je pense qu’on vous retrouve dans la phrase : « Ils reprennent en chœur une chanson populaire, destinée à la fameuse « France d’en bas », celle qui doit travailler plus pour gagner plus au lieu de faire la grève pour demander une augmentation des salaires » (page 23). Le système, dans vos écrits, est quelque chose d’opprimant et délétère. Je me demande si Bonheur est le personnage qui vous permet d’épancher vos pensées politiques. À page 75 on lit : « État et médias n’attendent pas que vous soyez dans le noir pour vous faire peur, même les jours ensoleillés, ils vous mettent sous pression, pour que vous les remerciiez de vous avoir prévenu, le jour de votre agression.  »

A votre avis le coup de pression constant du système quel but est-il en train de poursuivre ?

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Un jour, El Magnifico prononce un discours très intéressant: « Messieurs, mesdames. A Dreux j’ai vendu des kilos de shit avec des mecs qui, pour un sac à main, traînaient des vieilles sur 500 mètres, c’est vrai (…) mais c’est pas moi qui vends les feuilles à rouler, les bouteilles à 40 degrés, les bolides qui peuvent aller à 260 kilomètres à l’heure, les kalachnikovs pour tuer des peuples entiers ; c’est pas moi. C’est l’État qui s’occupe de ça (…) Vive la révolution ! Lorsqu’on n’a rien à se reprocher, il ne peut rien nous arriver ! »

Donc à votre avis la violence individuelle est une réponse à la violence collective et systémique ? C’est toujours ainsi ou juste dans certains cas ?

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LE RACISME

Pourquoi dans Banlieue Noire avez-vous choisi comme protagoniste un jeune Noir d’origine béninoise adopté par une famille de Blancs français ? Qu’est-ce qui vous fascine dans cette situation ?

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À la page 10 d’En attendant que le bus explose on voit une similitude entre les Français d’origine française et les jeunes issus de l’immigration : la peur et la compétition vis-à-vis des nouveaux arrivés. La famille du petit Karim est méfiante vis-à-vis des Chinois, mais elle est à son tour stigmatisée par la population française qui l’entoure.

La xénophobie est donc de toutes les populations. Pensez-vous qu’il s’agit d’une attitude liée au fait de s’assurer l’accès aux biens économiques (marché du travail, logement etc.) ou plutôt à une défense identitaire tout court ?

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À page 89 de Banlieue Noire on lit : « Les Noirs, ils se rapprochent seulement lorsqu’ils sont entourés de Blancs ». Il s’agit d’un petit clin d’œil à la non solidarité africaine ?

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En s’adressant à un petit Noir dans le bus, El Magnifico lui dit « J’espère pour toi qu’il y a plus noir que toi. Même pour aller à la boulangerie en bas de chez toi, n’oublie pas ta carte d’identité. J’espère que t’as des diplômes. Sinon ça va être très difficile. »

Selon vous avec les diplômes cette stigmatisation concernant  l’aspect reste ou s’atténue?

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À la page 29 de Banlieue Noire on te voit traiter la thématique concernant le rapport entre noirs et blancs : « Dans notre coin, et selon l’avis général, le blanc est la couleur de la domination. Ce sont eux, en majorité, qui réussissent et nous, les plus foncés, qui échouons. Ce sont eux qui pillent nos richesses en Afrique et nous qui subissons. Ce sont eux qui vivent dans des beaux quartiers et nous dans des endroits sordides. C’est eux et nous ; nos coutumes héritées des pays de nos parents, et les leurs. De l’Afrique jusqu’en Amérique du sud, c’est le même schéma : le monde leur appartient. En 1998 encore, on entend ‘c’est le premier Noir à faire ça’ ».

Vous avez décrit la situation de façon aussi nette pour expliquer d’où vient la rage de ces jeunes ou vous partagez complètement cette vision en « noir et blanc » du monde ?

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Dans Banlieue Noire on voit donc que l’État est lié au « pouvoir blanc ». À la page 30 ce concept est à nouveau rendu explicite : « Nous crachons aux visages de ceux qui portent l’uniforme, quel qu’il soit, et encore plus lorsqu’il est porté par des personnes d’origine étrangère. Pour nous ce sont des traîtres, des complices de l’État. L’État est infiniment répressif et la répression, on sait tous quelle frange de la population elle touche. On sait qui sont les hommes que les flics tuent, et qui on enferme plus facilement que d’autres. On est né dans ce pays, on a grandi dans ce pays, mais avec toutes ces inégalités, on ne se sentira jamais occidentaux.  Nous n’avons pas le même sang et ça se voit rien qu’à nos têtes. » D’un discours d’ordre plutôt politique d’injustice, on passe à une réflexion qui parle du sang.

Vous ne pensez pas que c’est dangereux de donner autant d’importance à la thématique « physique » dans une dénonciation sociale ? Ou à votre avis le problème réside précisément dans ce que cette apparence symbolise aux yeux des dominants ?

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Entre la page 28 et la page 30 du même roman, à travers la description de l’attitude de Christophe, vous tracez des considérations sur la place des métisses en France : « Il a un gros défaut, Christophe, et qui est de taille, c’est qu’il veut sans cesse montrer qu’il a du sang africain, que c’est un ‘vrai’ Noir comme nous autres, qu’il fait partie d’un peuple opprimé à qui on refuse l’intégration dans ce pays (…) des garçons comme Christophe qui ont du sang blanc… Vivent mal d’être le cul entre deux chaises. Ils ont deux combats à mener : d’abord contre le pays qui les a oubliés, et ensuite pour être reconnus par les gens avec qui ils vivent. Ça les éparpille peut-être, ça les épuise ». L’attitude de Christophe révèle l’effet miroir d’une société où le métissage est vain car la personne se retrouve toujours à devoir choisir sa communauté de référence. Personnellement, en tant que métisse, je pense que « notre rôle » face au sectarisme est celui de devenir un pont entre les deux sphères, de nous faire témoins de la sensibilité qu’il faudrait avoir pour dénoncer toutes les injustices liées à l’aspect physique.

Vous ne pensez pas que Christophe devrait briser le portrait duquel on le fait porteur ? À votre avis les jeunes métisses ne devraient pas défier ce classement ?

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LE MONDE LITTÉRAIRE

À la page 118 de En attendant que le bus explose on rencontre El Magnifico en train de se plaindre parce qu’il a des difficultés à faire éditer son livre : « Il y a bien eu une touche avec un éditeur mais finalement ça ne s’est pas fait. L’éditeur s’était rendu compte un peu trop tard qu’il avait déjà fait signer un Arabe le mois dernier. Et deux livres ‘exotiques’ dans la même année ça faisait beaucoup trop. »

Pensez-vous que les livres des personnes issues de l’immigration seront toujours considérés « exotiques » ou en tout cas comme une catégorie à part ?

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Le vieux voisin d’El Magnifico se laisse aller à son mépris pour la littérature française actuelle. À la page 132, on lit: « la littérature française a pris du plomb dans l’aile. À force de médiatiser des fils de pute qui n’ont rien à dire. Y en a que pour eux. Cent pages pour aller du salon aux toilettes. Des romans intimistes, paraît-il, que personne ne comprend. Et ces romans ont tous les prix. Tu comprends ? Si un banlieusard ou un bouseux de province achetait ce genre de livres ils auraient l’air bien con, les jurés parisiens. »

Vous voulez dire que ce genre d’écrits est élitiste et a donc le but d’éloigner du monde littéraire une partie de la population française, à l’occurrence celle plus pauvre ou/et issue d’ailleurs ?

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LE FOOT

Beaucoup de personnages de vos romans rêvent de s’en sortir, dans la vie, grâce au foot. C’est le cas de Sébastien, Christophe et d’autres personnages de Banlieue Noire. Et c’est aussi le cas, dans En attendant que le bus explose, du cousin de Malik El Magnifico, Germain, qui a été stagiaire au PSG. À la page 22 de Banlieue Noire le moment où les personnages jouent au foot est ainsi défini : « pour la plupart d’entre nous, c’est l’endroit où on donne le maximum, où l’on oublie tout. ».

Quelles autres activités, à votre avis, pourraient donner aux jeunes la même sensation de liberté et de découverte de soi, au-delà de l’environnement qui les entoure ?

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ECRIRE

À la page 54 de En attendant que le bus explose vous décrivez les galères d’un écrivain inconnu qui a été déjà refusé par 25 éditeurs : « Trois ans à se torturer l’esprit, noter des mots sur son cahier, changer les phrases dix, vingt fois le retransmettre sur un clavier. Les donner à des amis qui mettent six mois à les lire, parce qu’ils s’en foutent un peu. Attendre des appréciations positives de leur part, sans les soupçonner de pitié ».

Il s’agit d’une expérience que vous avez vécue personnellement ?

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Dans le même livre on retrouve, à la page 78, un discours à propos de la confiance dont l’artiste a besoin : « La confiance, meilleure amie de l’artiste. Elle vous empêche de vous poser mille questions, dont les trois quarts sont inutiles et sabotent votre art ».

À quel moment avez-vous eu cette confiance en vos créations ?

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L’IMPORTANCE DU QUARTIER

Dans Banlieue Noire l’importance du quartier Louis Armand, défini « Louis Alarmant » par les autorités est central dans le déroulement de l’histoire. On lit : « Ici, ça pue la faim. Un foutoir où cohabitent 15.000 personnes. Des portées de Noirs et d’Arabes en majorité, mais aussi des Chinois, des Turcs, des Pakistanais, des Français perturbés, des gens du voyage qui ne veulent plus voyager et j’en passe (…) Les grands ensembles font qu’on réfléchit ensemble. Chez nous, je suis tellement conditionné que je flippe de sortir un livre devant les autres. Ici c’est un autre monde, une autre façon de penser, et si je vois mal Chirac régler les problèmes sur Jupiter ou en Irak, je ne vois pas du tout comment il pourrait les régler chez nous ». Donc qui cherche à se cultiver est très rapidement charrié par les autres camarades ou voisins. Il y a une sorte de complexe vis-à-vis des autres, vis-à-vis de ceux qui lisent et écrivent peut-être des livres. Je trouve ce passage l’un des plus tristes.

À votre avis il y a cette fermeture vis-à-vis du monde des livres parce que ce monde est aperçu comme une sphère réservée aux français de souche – vus comme les vrais maîtres de la langue (française ?) – ou plutôt une sphère réservée à la classe bourgeoise qui, elle, a du temps à consacrer à cette activité de l’esprit ?

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À un certain moment (pages 125-126) Sébastien fait une petite prière concernant son match du dimanche, le bien être de sa famille et il arrive à inclure tout « Louis Armand ». Son quartier est donc vu comme un berceau protecteur. Plus tôt (pages 72-73) vous avez décrit un match de football organisé entre habitants de différents immeubles. Vous montrez le genre de liens d’amitié et de solidarité qui peuvent naître dans ces typologies de quartier.

Trouvez-vous que ces liens durent toute la vie ou qu’une fois changés d’ambiance (par exemple, on déménage ailleurs) ils peuvent se transformer en conflit ?

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L’aspect de conditionnement exercé par le quartier est visible aussi dans En attendant que le Bus Explose à travers la lecture des propos suicidaires et homicides de Bonheur qui parle à son billet de 5 euros : « C’est tous ces gens du quartier qui nous ont détruits, tu le sais. Je pourrais leur tirer dessus, mais pour aller où après ? Je ne peux plus rester. Je dois mourir aussi, car s’ils sont pour beaucoup dans mes problèmes, j’ai aussi ma part de responsabilités. Personne ne me fait plus pitié, jumeau, j’ai été trahi par des pauvres, humilié par des riches, écœuré par ma famille ». (page 137)

Le « simple » fait de grandir dans un quartier plutôt qu’un autre peut modifier à ce point la vie d’une personne ?

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CONTRE L’ATTITUDE A SE POSER EN VICTIMES      

Dans la préface de Banlieue Noire  on voit la critique de ceux qui se posent en victime, la même qui est présente dans vos romans. Lilian Thuram écrit que si c’est vrai que « Qui sème la misère, récolte la colère », c’est aussi important de dire que « la pauvreté n’explique pas tout (…) l’échec devient une valeur, une règle. On ne lutte pourtant pas contre l’exclusion, l’injustice et la discrimination en se tirant une balle dans le pied.» (page 9) Entre la page 118 et la page 119 du même roman le dialogue entre El Magnifico et Alilou la Seringue a l’objectif d’élever une sorte de jugement négatif contre les personnes qui utilisent la cause migratoire pour s’ériger en victimes, même en étant responsables de certains crimes causés par leur désespoir de réussir dans le monde de la légalité.

À votre avis, il y a beaucoup de gens qui se cachent derrière le système ? À quel pourcentage le choix des individus est-il responsable de leur condition par rapport aux dégâts causés par le système ?

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L’ECOLE

À la page 68 de Banlieue Noire vous nous expliquez le drame d’un système de valeurs intériorisées à l’école : «Les glaires sur le tableau, les coups de pieds en classe, les jets d’armes, les portes fracturées, la crise de nerfs des professeurs, le non-respect de l’autorité, je n’ai rien vu d’autre, je n’ai rien fait d’autre. Personnellement je n’ai pas le souvenir que ces gestes m’aient un jour indigné. Ils font partie du cours, des leçons à retenir, que tu sois une petite fille fragile ou un garçon robuste. Ils sont en nous à jamais. Ils régiront nos actes futurs, et feront de nous les adultes que nous serons plus tard : des êtres difficilement compréhensibles pour la société. »

Ça a été le cas de votre parcours scolaire ? À quoi vous imputez cette violence précoce des enfants ?

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Il y a un gap très fort entre ce que l’on apprend en cours et ce que la route nous fait connaître. À propos de cette différence Sébastien, le protagoniste, dit être devenu « un être instable, ayant du mal à s’expliquer, à commenter ses choix, à choisir entre droit chemin et errances, entre bien et mal, agitation et calme, intelligence et bêtise. » (page 14)

A votre avis, où et dans quel genre de manifestation l’école se trouve en échec ?

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Sûrement les professeurs ont quand même un rôle très important dans la vie de l’école, vous ne pensez pas ?

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Donc l’école est aperçue comme un moyen pour trouver un travail et non pas aussi comme un but en soi…

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Dans Banlieue Noire vous décrivez une école qui reflète le même environnement qu’il y a à l’extérieur et qu’elle se trouve en plein cœur de la cité où habite Sébastien. Il la décrit de cette façon : « les mêmes fils d’immigrés, les mêmes esprits, le même argot, les mêmes bagarres, la même façon de se saluer. Il n’y a pas beaucoup de différence entre être dedans et au dehors de l’école, deux mondes seulement séparés par une grille qui s’effrite de jour en jour. » (page 51). Et à la page 16 vous introduisez un discours qui a le but d’expliquer que la mixité sociale dans les collèges est un facteur très important qui sert à donner à tout le monde l’espoir de rentrer dans des lycées généraux au lieu d’être orientés avec tous les gens du propre quartier dans des filières techniques. Être dirigé vers un collège en centre-ville est donc une chance qui peut changer le parcours de la vie d’un jeune de banlieue, lequel, en sortant des codes de son quartier il peut expérimenter des nouveaux rôles.

Connaissez-vous personnellement des jeunes auxquels cette modification d’ambiance a fait changer de perspective ?

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Le professeur de musique de Sébastien semble aimer tant ses élèves… mais il est vu, par le protagoniste, comme un homme qui de toute façon ne voudrait jamais leur faire fréquenter ses enfants. La philanthropie a ses limites…

Est-elle compréhensible cette attitude ? Ou vous semble-t-elle porteuse d’une dérangeante « mauvaise foi » ? Et pensez-vous que les élèves qui ressentent cette distance ont plus l’envie de la raccourcir ou de se marginaliser encore plus ?

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Il y a un morceau qui m’a touchée, celui où en parlant d’un centre socio-culturel du quartier Sébastien dit : « Certains y sont restés tellement de temps que leurs parents n’ont pas eu le temps de les élever. » Et on voit ensuite la description d’un personnage très positif, l’éducateur Nassim qui « dirige le foyer, organise des projets pour nous éviter de galérer ».

Vous trouvez que, par rapport à votre expérience, les éducateurs ont plus d’influence sur les jeunes par rapport aux professeurs, aux assistants pédagogiques ou d’orientation ?

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LES AMBITIONS

El Magnifico, un des protagonistes de En attendant que le bus explose, retourne dans le quartier où il a grandi, à Dreux et il découvre le parcours qu’ont suivi ses anciens amis d’adolescence. Les mots qui reviennent le plus sont : rap, prison, étrangère, religion, accident de voiture, foot, commerce et drogue. Quand il demande qui a réussi on lui répond « Bachir a ouvert un Grec-Frites ». Sa réaction montre la déception pour ce genre de réussite, considérée le summum à atteindre.

Pour vous quelle est une vraie réussite ?

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Sébastien est plein de bons propos. À un moment il arrive à dire qu’il ne va pas sortir samedi soir car le match de foot auquel il souhaite participer le dimanche est trop important pour sa future carrière. Mais malheureusement il ne croit pas à ses propres promesses. Il s’agit d’un jeune entouré par des personnages très différents entre eux ; il y en a certains positifs et parmi eux Boubacar, garçon qui « a connu la rue et ses drames, la traîtrise, l’isolement », choses qui l’on fait réfléchir. Pour ça il introduit chez Sébastien le concept de libre choix, souvent oublié au profit des logiques de groupe. Mais très tôt après l’avoir écouté, notre protagoniste dit : « la vie, en cinq minutes, elle peut faire de toi ce qu’elle veut. C’est elle qui dirige. Tu peux avoir les meilleures intentions, mais rien à faire, si elle veut te rendre fou, tu deviendras fou. Tu n’as pas le choix. Si elle veut que tu sois cordonnier alors que ton rêve secret est d’être une star, tu feras peut être une audition pour être acteur, mais… tu finiras cordonnier. C’est sans doute pour ça que je ne me prends pas la tête et laisse le monde mentir à ceux qui osent y croire. »

À quoi est dû ce fatalisme ? Et pensez-vous qu’il soit réellement encré dans la majorité des jeunes des « quartiers sensibles » ?

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SAGESSE ET FOLIE

Dans Banlieue Noire Sébastien comprend que la solitude d’un garçon comme Omar est en réalité la solitude d’une personne qui a voulu voir la vérité en face. Il le regarde dans les yeux pour la première et dernière fois car Omar partira du quartier juste après la mort de Christophe (page 160-161). En pensant aux personnages d’Omar, Madame Grenier et de Pappy  Brossard dans « Banlieue Noire », mais aussi à Anthony et d’autres individus je remarque une certaine attirance vers les personnes marginales.

Pensez-vous que ceux que la société regarde comme porteurs de déviance ou de folie sont en réalité les gardiens d’une sagesse cachée ?

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L’ARGENT

C’est surtout dans votre deuxième roman que vous vous concentrez sur cette thématique. Dès la page 31 vous introduisez le personnage de Bonheur (dont le vrai nom est Johann et dont ce pseudonyme vient de son habitude passée de rimer avec pessimisme et rage) : il a 23 ans, il a arrêté l’école depuis 6 ans, à partir de la mort de son meilleur ami dans un accident de voiture, sa vie n’est plus la même. Il se décrit dans un billet de 5 euros dans lequel il voit son destin de petit poisson dans une mer où les gros poissons ont le droit d’exister en disant : « j’ai lâché petit à petit le rap, pour militer dans des associations. Ça m’a permis d’aller au Tchad, à N’Djamena, tout l’opposé de New York, une ville fascinante que j’avais découverte lors d’un voyage avec Ahmed. Ce que j’ai vu en Afrique m’a révolté, je m’étais promis d’y retourner un jour, mais pour cause de divergences avec les associations, mon retour là-bas se fera plus tard (…) J’aligne les joints, les bières, les alcools forts, prenant le ciel pour cible. Billet, je cherche à tuer le temps. Je travaille, je suis le clown du Prisunic, et mon métier consiste à distribuer des bonbons aux enfants (…) c’est dur de valoir cinq euros dans ce monde, si tu savais, on te manque de respect, on t’exploite, on t’écrase comme une merde ». Pourtant, dans Banlieue Noire, Sébastien avait expliqué, à la page 18, « Ce ne sont pas les grosses voitures, les belles bagues, les grandes baraques qui m’intéressent. Il me vient d’autres choses à l’esprit : casser la tête du flic qui m’a traité de ‘sale nègre’ sans avoir de problème, rentrer dans les boîtes de nuit qui me refusaient l’entrée avant et faire caca dans leurs verres, acheter les gens, faire l’amour à l’œil, avoir mon bac Honoris causa, tout plaquer du jour au lendemain et aller en Australie raconter ma vie à un aborigène. Le bonheur, ça ne veut rien dire. Juste montrer que je suis là et que j’existe, être libre. »

Donc le vrai malaise, à votre avis,  ne serait pas lié au désir d’enrichissement, mais simplement à une négation existentielle subie pas certains jeunes dans notre société. Cette négation concerne quels aspects de la vie ? L’exclusion économique semble être la pointe d’un iceberg.  Nous on voit ça mais il y a des raisons plus profondes, n’est-ce pas ?

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LA VIOLENCE

Dans Banlieue Noire Farid, le meilleur ami de Sébastien, a eu tellement d’embrouilles dans son passé, qu’il a peur de marcher tout seul dans la rue, car c’est « beaucoup trop risqué, trop stressant ». Il est conscient que en grandissant, peut-être père de famille, « il croisera peut-être des ennemis de dix ans prêts à tout pour se venger, ou encore des jeunes qui l’agresseront, tout comme lui avait agressé pour de l’argent une femme avec ses deux enfants. Sans rire, ce jour-là, il a dû bouleverser leur vie. Mais bon, le monde est ainsi fait, et puis est-il pire que tous ces gens qui le montrent du doigt ? Ils veulent le faire passer pour un grippé alors que c’est toute cette société qui est malade. » (page 97-98)

Pensez-vous vraiment que des jeunes comme Farid peuvent ressentir la maladie de la société au point de se croire justifiés dans leurs actes de violence ?

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Aux pages 146 et 147 de Banlieue Noire il y a une description : la haine enracinée envers les gens du quartier Jean Mermoz. « Je me dis que mes potes seraient capables de me tuer si je déménageais à Mermoz (…) je ne suis pas méchant, mais si je trouve un gars de là-bas, je le saigne comme un mouton et à ce moment précis, j’utiliserai ce que j’ai dans la main, peu importe ce que c’est. Il y a trop d’amour entre mes immeubles et moi (…) Pourquoi nous conduisons-nous comme ça avec des gens qui nous ressemblent ? Je vous répondrais que c’est justement lorsqu’on se ressemble que l’on apprend à se connaître ».

Il s’agit donc d’une haine contre eux-mêmes ? Ou plutôt d’un besoin d’affirmation et de différenciation par rapport à ceux qui leur ressemblent à ce point ?

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LE PESSIMISME

Dans Banlieue Noire Sébastien dit « Dans cette société où je vis, le bien ne peut rien sans le mal, l’Abbé Pierre ne peut rien contre un 7,65. Il vaudrait mieux qu’il en tienne un dans la main pour se défendre, et tirer une balle en l’air s’il veut avoir la paix. Mais je sais que vous êtes des gens formidablement bons. Vous ne comprenez pas qu’on puisse tenir un tel langage ». (page 162)

Pensez-vous que si l’on veut prêcher de bon propos à ceux que l’on considère, il ne faut jamais quitter une attitude de méfiance ?

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Le final de Banlieue Noire est extrêmement triste car Sébastien, après avoir fait de la prison et s’être retrouvé violent comme avant si non pire, après avoir compris toutes ses erreurs et ceux de sa génération,  retourne dans son quartier et s’assoit sur le banc où il s’asseyait avant. Omar et commence à parler tout seul.  Un gamin, qui auparavant pouvait être lui, crie de rentrer chez lui.  Dans En attendant que le bus explose le final ne laisse également pas d’espoir : le « Bonheur » physique (un homme) et symbolique (un concept) explose et se désintègre.

Le final de vos deux romans est une prophétie pessimiste concernant les nouvelles générations ? Ou un avertissement ?

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UN DISCOURS SUR LE RÔLE DES ARTISTES

El Magnifico et Anthony sont deux artistes qui se rencontrent à un moment sombre de leur vie. El Magnifico, d’origine burkinabée, a écrit un roman et il est à la recherche d’un éditeur, il vit chez son cousin et il doit reconstruire sa vie. Anthony, d’origine antillaise, vit dans ce qu’il définit un « squat merdeux » dans le XXe arrondissement et il joue de la guitare dans les métros et les parcs. Ils se considèrent tous les deux des artistes incompris. Anthony expose son point de vue sur leur situation en disant que « sa vivacité d’esprit, son courage, font que le grand public ne s’intéresse guère à ses talents car le grand public préfère les artistes vides, sans intérêt, et qu’il n’est bon qu’à traiter les gens comme lui de ‘fous’ parce qu’ils sont différents (…) en tant qu’artistes, lorsqu’on n’est pas comme tout le monde on reste incompris, et le jour où on réussit à être apprécié c’est qu’on est devenu comme tout le monde ».

Est-ce que c’est votre point de vue exprimé par la bouche de ce personnage ?

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Vers la fin (page 143-144) il y a une conversation très intéressante entre El Magnifico et Anthony. Le premier, grâce aux connaissances de son vieux voisin, va être édité et le deuxième va sortir un album. En fait on voit que maintenant qu’ils se sentent écoutés et reconnus par la société ils sont beaucoup moins haineux envers les injustices de ce monde et ils se montrent disposés à tolérer les contradictions françaises détestées auparavant.  J’ai, à propos du final et de cette conversation entre ces deux personnages, plusieurs questions. Le geste de Bonheur a le but de nous montrer que la souffrance d’une seule personne, si elle est amenée à ses extrêmes, est dangereuse pour la joie des autres. Donc, tant qu’il n’y aura pas de justice et de partage, aucun d’entre nous ne sera à l’abri de la souffrance, même quand elle semble loin. Dans le bus qui explose, le fait qu’il n’y ait pas seulement des personnages négatifs comme Maxou, Anastacia ou le chauffeur mais aussi deux artistes bienveillants à l’origine (El Magnifico et Anthony).

Symbolise-t-il le fait qu’en ayant oublié que leur art devait être un moyen de dénoncer quelque chose et non pas être un but, ils ont trahi le reste de l’humanité  herunterladen?

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Pensez-vous que qui arrive à rentrer dans l’Olympe des artistes est déjà pour moitié compromis et que donc, chaque artiste affirmé, le voulant ou pas, est connivent avec le système ?

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VOS MESSAGES

Aminata

Il m’a particulièrement touché, dans Banlieue Noire, le discours prémonitoire du père de Christophe, appelé « Muhamad Ali » pour son aspect et ses habitudes assez violentes vis-à-vis des petits du quartier qui faisaient des bêtises : « Il faut être sérieux, bien manger, dormir suffisamment, c’est important. Il ne faut pas que vous finissiez comme nous. Regarde-moi, ça fait vingt ans que je suis dans ce pays, je n’ai rien vu d’autre que ce foutu bordel (…) Quand vous venez d’endroits comme les nôtres, que vous soyez blancs, noirs ou jaunes, tout est plus dur. Ils auront beau dire, ici c’est plus compliqué. J’ai échoué comme mon père avait échoué avant moi et comme la plupart de nos enfants échoueront. Mais si vous ne voulez pas être de ceux-là, faites un peu travailler votre cervelle et bossez dur. »

Est-ce votre pensée, se référant plus à une catégorie sociale qu’à une communauté ethnique ou religieuse, qui est glissée dans la bouche de ce personnage ?

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Christophe est, involontairement, la cause de la mort de sa mère. Nous n’allons pas dire pourquoi mais en lisant ce morceau dans Banlieue Noire  je me suis demandée si vous ne vouliez pas passer ce message : celui que l’on considère comme l’Autre, l’étrange étranger, le différent, est en réalité ce que nous sommes aussi car nous nous équivalons. Christophe ne respecte pas les droits d’une inconnue qui se révèle être sa mère.  Le message est-il bien : l’Autre c’est moi ?

Le message est-il bien : l’Autre c’est moi ?

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Vous êtes en train de travailler à un nouveau roman ?

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Quelle est la thématique de votre nouveau roman ?

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Et à propos du fait que vous êtes écrivain de romans mais aussi scénariste, j’ai remarqué que vous avez une écriture cinématographique : vous vous considérez plus fils des mots ou fils des images ?

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Merci Thomté Ryam !

De rien, salut  herunterladen!

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